Celui qui a découvert sa vocation à la vie contemplative séculière et qui a reçu la transformation de son être est prêt à accomplir une mission concrète dans l’Église et dans le monde. Nous vous présentons ici en quoi consiste cette mission que doit accomplir le contemplatif qui vit dans le monde. Extrait du chapitre «Mission du contemplatif séculier» du livre Fondements pour vivre de manière contemplative dans le monde.
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Contenido
Introduction
Nous avons vu ce que l’on pourrait appeler «l’être essentiel» du contemplatif1. Mais nous n’avons pas tout dit sur lui, car cet être, qui configure l’identité la plus profonde de tout contemplatif, se concrétise dans un type de tâches et dans une manière spécifique de les réaliser, qui constituent la mission du contemplatif comme la manière de vivre dans les faits cet être essentiel. C’est là que nous voyons le plus clairement la différence, à laquelle nous avons déjà fait allusion, entre le contemplatif monastique et le contemplatif séculier2. Dans les deux cas, la racine fondamentale est la même, mais il existe des différences notables dans la manière concrète de vivre le même être contemplatif.
Lorsque nous parlons d’un contemplatif séculier, nous parlons de quelqu’un qui peut vivre dans différents environnements, modes de vie ou vocations ecclésiales. Par conséquent, sa vocation fondamentale, qui est contemplative, constitue le moteur de toute sa vie, et elle doit être compatible avec les différentes tâches, devoirs et circonstances dans lesquelles se développe son existence dans le monde.
C’est pourquoi nous n’allons pas faire attention principalement sur les caractéristiques et les éléments extérieurs qui configurent la vie, la vocation ou la mission que le contemplatif séculier a dans l’Église et dans le monde; mais nous tournerons notre regard vers ce qui est proprement spécifique à sa mission de contemplatif au milieu du monde, et qui est le fruit essentiel de l’être nouveau que Dieu lui a donné avec la vocation contemplative. Avant d’arriver aux tâches et les devoirs concrets dans lesquels se développe la mission du contemplatif séculier, il faut s’arrêter sur l’essentiel de celle-ci, qui consiste fondamentalement à vivre l’amour de Jésus Christ et l’union de l’amour avec Dieu dans la réalité quotidienne, montrant ainsi qu’il est possible de vivre pleinement la vie évangélique au milieu du monde.
Cette transparence évangélique doit imprégner tout ce que fait le contemplatif séculier, comme preuve que son ministère est vrai. Il devient ainsi, pour le monde, un témoin éloquent et efficace de l’invisible. Car, au-delà de l’efficacité immédiate et vérifiable de ses actions extérieures, il a pour mission d’être témoin du mystère de Dieu au milieu du monde, conscient que non seulement l’opposition de celui-ci au surnaturel n’empêche pas son témoignage, mais lui permet de donner plus expressivement.
Que sa vie se développe dans le monde ou dans un monastère, le contemplatif cherchera à accomplir les tâches qui lui sont propres, non pas de quelque manière que ce soit, mais comme manifestation de son être le plus profond; parce que ce ne sont pas ces tâches qui le configurent comme contemplatif, mais au contraire: c’est son être de contemplatif qui donne un sens à ces tâches. Si ce lien entre l’être essentiel et la mission concrète est rompu, ou si la dépendance de la mission concrète par rapport à l’être essentiel est éliminée, sa propre existence en tant que véritable contemplatif sera devenue impossible et inefficace.
Puisqu’ils émergent de la grâce qui leur donne sens et efficacité, les différentes missions que doit accomplir le contemplatif ne peuvent pas tâches facultatives, qu’il puisse choisir en fonction de ses goûts ou préférences personnelles, mais ce sont les «missions» que le Seigneur lui confie, comme moyens spécifiques de coopérer à la croissance et à la sainteté de son Eglise, comme il nous le dit: «Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis» (Jn 15,16).
Le contemplatif, associé au Corps du Christ par la grâce de sa propre vocation, s’associe également, de manière plus active, plus pleine? et plus consciente, à la mission du Christ dans l’Église. Leur appartenance à celle-ci s’exprime dans différentes vocations, comme moine, religieux, prêtre, mère de famille, missionnaire, époux, etc.; mais ces vocations ne sont que la base sur laquelle Dieu l’incorpore, d’une manière nouvelle et concrète, à sa véritable vocation, qui est de participer à l’essence de la mission du Christ. Cette incorporation n’est ni optionnelle ni indéterminée, mais elle se réalise à travers de véritables «ministères», que le contemplatif doit accomplir en vertu de son être nouveau et de son incorporation plus complète dans l’Église. Il s’agit d’un mandat du Seigneur, qui va de pair avec est lié à la grâce qui éveille la vie contemplative, et qui fait que celle-ci occupe une place spécifique et irremplaçable dans la vie de l’Eglise.
Il est important de garder à l’esprit que, par «ministères», nous avons tendance à comprendre spontanément les fonctions publiques les plus significatives qui existent dans l’Église et qui sont le fruit d’une consécration, d’une ordination sacramentelle ou d’une commission officielle commandée par l’Église elle-même. Cependant, cette reconnaissance ou institution publique ne fait que manifester une action de l’Esprit Saint, qui est celui qui distribue les différents ministères ou fonctions. Nous ne pouvons donc pas nous étonner que, lorsque l’Esprit Saint appelle et transforme un baptisé pour vivre comme contemplatif, il le conduise également à participer plus pleinement à la mission salvifique du Christ. C’est pourquoi nous pouvons parler d’un «ministère» spécifique du contemplatif, qui ne naît pas d’un choix personnel, ni se définit institutionnellement, mais découle de l’Esprit, qui est celui qui conduit à sa plénitude, sur le terrain de la mission, l’incorporation à Jésus Christ reçue dans le baptême, comme nous l’enseigne la théologie de saint Paul sur l’Eglise, Corps du Christ:
Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit: il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier (1Co 12,4-11).
Tout «ministère» dans l’Église est l’expression extérieure d’une action particulière de Dieu, qui, par l’Esprit Saint, transforme profondément le baptisé, en l’identifiant au Christ d’une manière singulière, afin qu’il puisse accomplir avec efficacité la tâche que Dieu lui-même lui confie. Et, de même que les ministères publics et plus significatifs s’accompagnent d’une consécration officielle, de même les ministères du contemplatif, comme nous le verrons plus tard, comportent une «consécration» spéciale, qui consiste dans la même transformation qui accompagne la vocation contemplative séculière.
A) Prière
a) Prier comme mission
La prière n’est pas une simple tâche pour le contemplatif séculier, mais la réalité qui imprègne toute sa vie; afin qu’il puisse dire en vérité: «La prière est ma vie, parce qu’elle se confond avec ma propre existence; elle est comme la respiration de mon âme: je vis pour prier et je prie pour vivre».
Les références évangéliques constantes à la prière de Jésus nous mettent sur la piste de découvrir l’importance qu’elle a dans la vie du Seigneur, comme partie essentielle de son être de Fils de Dieu et de sa mission rédemptrice. À travers la prière, Jésus reste en permanence uni au Père et jette le pont de la grâce entre Dieu et les hommes. C’est pourquoi, en contemplant Jésus, nous voyons clairement que, plus important que de parler de Dieu aux hommes, c’est parler des hommes à Dieu, en conquérant pour eux la grâce et le salut.
En Jésus-Christ, il n’y a pas de séparation entre la prière et la vie. Le fait surprenant que le Fils de Dieu ait un besoin vital de prier et qu’il vive dans une prière permanente nous révèle que pour lui la prière n’est pas une tâche comme les autres, mais milieu habituel de son existence, l’atmosphère dans laquelle il vit et agit.
En ce sens, nous pouvons affirmer que le premier «ministère» du contemplatif séculier est la même prière, à laquelle il se sent appelé personnellement par le Seigneur lorsqu’il nous invite à «toujours prier sans se décourager» (Lc 18,1). Par conséquent, il ne prie pas pour le goût, ni même pour un besoin personnel ou général, mais pour une commission du Seigneur. Cela ne veut pas dire qu’il ne trouve pas parfois le goût de la prière; mais ce n’est pas la motivation qui le pousse à s’y donner, mais la conviction profonde d’une mission à laquelle il se sent appelé à partir du le nouvel être que Dieu lui a offert. En fait, le temps qu’il consacre à la prière et la façon dont il l’accomplit doivent répondre à ce sens de «ministère» ou de mission ecclésiale, avec une conscience claire de que, par sa prière, il accomplit le travail qui lui correspond dans le Corps du Christ.
La principale motivation que possède le contemplatif pour prier est la conviction absolue que le Seigneur lui confie personnellement le ministère de la prière comme sa coopération spécifique à l’extension du Royaume de Dieu. Ainsi comprise, la prière ne sera plus jamais une activité de plus parmi d’autres ou une tâche qui lui profite principalement, mais la mission fondamentale que le Seigneur lui a confiée et qui soutient tout ce qu’il fait. Il faut donc cesser de concevoir la prière comme une simple tâche, aussi importante soit-elle, pour en faire quelque chose de vital, qui implique totalement une personne et qui constitue sa contribution la plus précieuse au Corps du Christ.
Au fond, tout se réduit à seconder la grâce qui unifie ce que nous sommes et transforme toute notre vie en prière, en nous poussant à vivre consumés par un amour passionné qui réalise la synthèse entre le don total à Dieu et notre pleine présence dans le monde. De cette façon, non seulement la prière et la mission ne sont pas séparées, mais elles font partie de la même réalité, qui est l’amour de l’holocauste, c’est-à-dire l’amour qui ne se contente pas de donner quelque chose à Dieu, même si c’est la chose la plus importante que l’on possède, mais qui donne tout à Dieu et seulement pour sa gloire.
Cette vie, convertie en prière, est celle qui répond à l’être nouveau du contemplatif, né du baptême et auquel nous nous avons fait référence précédemment3, et qui prolonge dans le monde la prière céleste que le Verbe introduit dans le monde et continue dans le ciel. Ainsi, le contemplatif, uni au Christ par le nouvel être qui lui donne sa vocation, continue la prière du Christ de façon particulière, comme partie essentielle de lui-même et de sa mission.
Le lien essentiel entre notre prière et la prière permanente du Verbe est le fondement de la prière chrétienne et de la mission principale du contemplatif, qui consiste donc à être «sacrement» de la prière du Christ. De même que tout sacrement est le signe visible qui faire réalité ce qu’il signifie, de même la contemplative faire visible et effective dans l’actualité la prière céleste du Christ. L’importance de ce don et de cette mission explique et justifie qu’il y ait des personnes qui consacrent leur vie à la prière, se consacrant à rendre présente dans leur propre vie et dans le monde l’intercession permanente du Fils de Dieu, qui est le fruit de sa communion d’amour avec le Père et avec ses frères.
Par conséquent, comme nous le verrons plus tard4, dans notre prière d’intercession, en particulier dans la liturgie des Heures, ces célèbres paroles de saint Augustin deviennent une réalité:
En priant, le corps du Fils ne sépare pas son chef de lui-même : pour qu’il soit l’unique sauveur de son corps, Notre Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, qui, à la fois, prie pour nous, prie en nous et es prié par nous. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il est prié par nous comme notre Dieu. Reconnaissons dons nos paroles en lui, et ses paroles en nous (Commentaire du psaume 85, 1).
b) Prière incessante
Quiconque prie uni à l’Église et mus par l’Esprit Saint se fait l’écho de la prière de Jésus-Christ et rend présente dans le monde sa prière éternelle au ciel. Mais il y a aussi ceux qui se sentent appelés à maintenir toujours vivante et active la prière du Christ. Ce sont eux les élus auxquels Dieu rendra justice parce qu’ils «crient vers lui jour et nuit» (Lc 18,7).
Parfois, l’Esprit provoque en nous une forte impulsion à la prière, de sorte que nous ne pouvons faire autre chose que prier. Cette grâce est une garantie de la vocation contemplative, car elle nous rappelle que la prière est la tâche la plus importante de notre vie. Avec l’élan reçu de l’Esprit Saint, l’âme peut entrer dans la relation d’amour qui unit de façon permanente le Verbe au Père, en participant à celle-ci et à ses effets. C’est une expérience qui marque pour toujours l’être humain qui la vit, et qui lui permettra d’avoir une référence de ce qu’est la vraie prière lorsque sa fragilité l’amène à perdre le cap ou à tomber.
Nous sommes confrontés à une véritable vocation à participer pleinement à la prière incessante du Seigneur au nom de l’humanité, faisant de la prière et de la supplication constante la mission de notre vie, a lesquelles nous devons nous consacrer de tout notre cœur au moment où nous disposons d’un peu de temps. Il s’agit peut-être d’une vocation minoritaire, car très peu de gens croient vraiment à l’importance et à l’efficacité de ce type de prière; mais Jésus lui-même nous découvre la valeur de cette foi dont dépend le monde: «Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18,8).
Ici, il n’est pas seulement important de prier beaucoup, mais d’avoir le besoin de consacrer tout le temps disponible à l’intercession et à la supplication, se sentir pris par l’Esprit, qui allume dans une âme la supplication incessante, parfois avec des gémissements inexprimables; ce qui se traduit souvent par l’obscurité, la sécheresse et le cri à Dieu sans aucune parole. Il s’agit d’un don de Dieu et d’une nécessité, et non une tâche que l’on s’impose ou que l’on choisie capricieusement.
A cette prière aide la conscience de sa propre misère et la contemplation de la souffrance du monde, qui poussent à prier parce qu’on vit de la conviction que Dieu est le seul point de soutien pour les pauvres. Il s’agit d’une prière de sa croix, unie à la prière du Christ de sa croix, qui devient le levier par lequel Dieu peut élever vers lui l’humanité, et la porte par laquelle le pardon et le salut entrent dans le monde.
Dans ce genre de prière, nous devons être audacieux dans les désirs et réalistes dans leur réalisation, car, même si nous avons un vrai désir de prier toujours et de prier ainsi, la faiblesse de la chair peut parfois nous empêcher de réaliser pleinement ce désir de prière incessante qui conduit à «passer toute la nuit à prier Dieu», comme le Seigneur (cf. Lc 6,12). Mais quand il appelle quelqu’un à cette prière et il la lui accorde, il doit persévérer en elle tant que le Seigneur le veut. La difficulté n’est donc pas de savoir comment prier ou comment rester dans la prière, mais comment en sortir. Car, comprise comme une grâce, la prière nous «attrape» et nous amène à nous laisser prendre par le Seigneur et à rester dans sa prière pour qu’il accomplisse, à travers nous, son intercession en faveur du monde.
Dans certains cas, cet appel à la prière permanente et à la participation à l’intercession du Christ prend la forme d’une invitation à être avec le Christ à Gethsémani, en partageant sa prière dans le Jardin. C’est comme si le Seigneur renouvelait aujourd’hui le choix qu’il a fait de ses trois disciples les plus intimes pour qu’ils l’accompagnent à ce moment crucial de sa vie; et qu’il choisissait aujourd’hui quelques personnes pour leur faire partager à sa désolation, à son angoisse et au cri de sa prière.
Très souvent, ce type de prière n’a pas besoin d’un contenu de mots, ni même d’idées, puisqu’il consiste en un cri silencieux prolongé qui sort de notre impuissance, comme le cri de Jésus à Gethsémani. C’est une manière de prier très simple, qui se réduit à être avec le Seigneur dans l’obscurité du Jardin, partageant avec lui sa nuit noire et son obéissance coûteuse, qui est la nôtre. Alors notre prière devient lutte, ténèbres et impuissance, et elle se réduit à dire par notre présence: «Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne» (Lc 22,42). Et le regard de foi qui soutient cette prière élimine tout soupçon que nous sommes face une épreuve ou un châtiment, car lorsque Dieu, par l’Esprit Saint, donne à une personne le don de la prière, il lui donne le don de la participation aux sentiments et aux expériences du Christ, en lui faisant participer aussi à son amour pour le Père et pour les hommes, à sa douleur face au péché, à sa soif de rédemption… Tout cela, qui constitue le cri intérieur qui jaillit du cœur du Seigneur, devient l’expérience irrépressible qui donne un sens à la prière du contemplatif et l’empêche de renoncer à prier ainsi parce que c’est sa seule façon de vivre.
Il est vrai que nous ne pouvons pas être unis de façon permanente à la prière de Jésus dans le Jardin, car notre faiblesse nous en empêche. La sécheresse intérieure, l’éloignement de Dieu ou le sentiment d’impuissance mettent en évidence l’obscurité de cette façon de prier et la faiblesse de notre chair; mais, en même temps, c’est l’impulsion qui nous pousse, encore et toujours, à supplier de cette façon. Et, même si nous ne pouvons pas toujours prier avec cette intensité, nous ne devons jamais consentir à sortir de cette supplication, à moins que Dieu ne nous fasse sortir. Nous ne devons pas prétendre être autre chose que de pauvres créatures qui crient à Dieu jour et nuit. En un mot, il s’agit d’accepter d’être pauvres, radicalement pauvres, tout au long de la vie. Et cela nous unit à la prière du Christ, qui «pendant les jours de sa vie dans la chair, il offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance» (He 5,7-8).
c) Prière et discernement
La prière, comme mission spécifique du contemplatif séculier, veut une attention constante à la présence de Dieu et à l’action de l’Esprit Saint en lui-même et dans les autres. Cela est nécessaire pour maintenir la tension spirituelle permanente qui nous fait chercher un temps ample de prière sereine et nous pousse à chercher la manière de prier toujours, nous sachant regardés par Dieu en tout temps et faisant de tout une offrande d’amour à Lui. Pour cela, nous devons vivre dans un désir persévérant de prier; et si jamais nous ne possédons pas ce désir, nous devons le demander et le rechercher, comme pièce maîtresse de notre propre être de contemplatifs.
Lorsque nous découvrons le ministère de la prière, nous comprenons la nécessité de vivre dans un exercice constant de discernement qui éclaire notre vie et ordonne notre échelle de valeurs à la lumière de la mission que le Seigneur nous a confiée. Ce qui exige que nous prenions des options concrètes pour que la prière ait la place qui lui revient; pour cela nous devrons décider combien de temps nous devons prier, comment doit être notre prière, quelles choses nous devons faire ou nous devons laisser, etc.
Et n’oublions pas que nous devons effectuer ce discernement de manière réaliste, conscients qu’ils existent des conflits qui n’ont pas de solution; de sorte que, même si nous avons la tâche de prier, la vie nous présente des situations qui empêchent matériellement la prière. Dans de tels cas, nous devons savoir que la vraie prière ne peut être remplacée par rien d’autre que le désir de prier. Un désir qui est compatible avec l’impossibilité de prier, donnant lieu à la douleur de ne pas pouvoir prier. Mais, évidemment, ce désir ne peut pas remplacer la prière quand es possible de prier et n’est pas faite; ou lorsque le conflit entre la prière et une certaine réalité qui lui est opposée peut-être résolu, même si c’est avec difficulté. Dans ces cas, nous devons résoudre l’obstacle à la prière.
Il n’est pas étonnant que le désir de prier semble être démenti par l’expérience de difficulté ‑ou même d’impossibilité‑ de prier. Cela ne peut être un obstacle à la prière, mais l’occasion de maintenir et d’accroître le désir de prier et de nous unir au Seigneur au milieu des difficultés. Pour cela, nous devons nourrir de grands désirs, malgré si nous constatons notre incapacité. La tentation, à ce point, nous poussera à accommoder nos désirs et notre foi à la mesure de notre pauvreté, au lieu d’essayer d’accueillir dans notre pauvreté la grâce illimitée que Dieu nous fait désirer.
Il est habituel que les meilleurs désirs de prier s’écrasent contre la fatigue ou l’aridité. Cela est normal; c’est l’expression la plus naturelle que nous sommes d’argile, que notre condition mortelle n’est pas encore prête à vivre pleinement en Dieu. Il est même bénéfique que nous devions faire des efforts avec abnégation? pour persévérer dans une prière qui nous est difficile, car nous avons ainsi la possibilité de manifester notre amour pour Dieu avec plus de réalisme et de pureté, en lui montrant que nous ne prions pas pour nous-mêmes, mais par amour pour lui. Il convient ici de rappeler que la prière ne manque pas de grâces ou de consolations; mais qu’elle est, fondamentalement, un combat. C’est ce qui conduit le contemplatif à accepter volontiers les difficultés propres à la prière, conscient qu’en elles s’exprime, mieux que dans les consolations, son amour et son service à Dieu.
Cette acceptation de la prière comme combat nous permet de supposer à l’avance que la mission de la prière est incomprise ou méprisée, même au sein de l’Église elle-même. La plupart des gens pensent que celui qui se consacre à la prière ne fait rien, et n’est bon à rien; qu’il y a beaucoup plus de choses nécessaires ou utiles que nous pouvons faire pour les autres. C’est pourquoi le contemplatif doit faire un choix clair en faveur de ce ministère, sachant que c’est sa manière spécifique de coopérer avec l’Eglise, vraiment et efficacement, au salut du monde.
d) Prière efficace
La prière, réalisée dans cette perspective et en tant que ministère, nous conduit à vivre dans la foi et à mettre en pratique la conviction que l’efficacité de notre vie n’est pas tant dans ce que nous faisons que dans ce que nous sommes. Cette prière nous plonge dans les valeurs essentielles du Christ et du chrétien et nous fait participer à l’infinie puissance de Dieu, cachée sous l’apparence de l’échec. Certes, il peut sembler que prier est une tâche inefficace, mais c’est pour cela même qu’il nous permet de nous identifier à fond à la croix du Christ et d’embrasser l’efficacité infinie de ce qui est humainement inefficace. La prière, comme la croix, a cet aspect scandaleux de l’inefficacité humaine, mais d’une efficacité divine infinie.
Rappelons-nous que la vraie prière n’est pas l’exercice par lequel l’être humain cherche à atteindre un Dieu inaccessible, mais le fruit de la présence vivante de Dieu, qui se rend accessible et «plus intime que ma propre intimité»5. Pour nous, prier n’est rien d’autre que de participer, à travers l’Esprit Saint, à la communication permanente d’amour entre le Père et le Fils. Seule cette prière est vraie dans son sens le plus profond, car elle possède la garantie de nous conduire à l’authentique communion d’amour avec Dieu et elle nous donne l’assurance de son fruit le plus plénier. Si la prière se réduit à la simple tentative de l’homme d’atteindre Dieu ou de lui adresser des demandes arbitraires, nous n’avons aucun droit d’attendre d’authentiques résultats; mais si la prière est vraie, non seulement nous pouvons les attendre, mais nous devons nous disposer, joyeusement, à vous recevoir.
Le contemplatif peut, à juste titre, faire sienne l’assurance qu’a Jésus, qui peut dire quand il va ressusciter Lazare: «Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé; je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours» (Jn 11,41-42). Et dans le même sens, il nous dit: «Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit? Les fait-il attendre? Je vous le déclare: bien vite, il leur fera justice» (Lc 18,7-8). Il affirme non seulement que Dieu répondra, mais qu’il le fera bien vite, pourvu que nous nous installions dans la manière de prier de celui qui crie jour et nuit parce qu’il vit dans une prière permanente. Malheureusement, cette prière ne rencontre pas beaucoup de disciples; c’est pourquoi Jésus se demande: «Bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18,8).
Ribera, La résurrection de Lazare
La prière du Verbe -et donc la nôtre- est si efficace que Dieu ne s’attend pas à ce que nous lui demandions quelque chose pour nous la donner, mais c’est son don même qui nous inspire à la lui demander. Nous demandons et nous recevons en même temps; ainsi se réalise le «bien vite» dont parle le Seigneur dans Lc 18,8.
Telle est l’efficacité authentique de la prière. Et c’est pourquoi la prière est toujours efficace; de sorte que, si notre prière manque de cette efficacité, nous devrions conclure qu’elle n’est pas vraie prière. Mais la prière n’est pas efficace de quelque manière que ce soit ou mécaniquement: pour qu’elle soit vraiment efficace, elle doit être vivante; elle exige que nous y participions pleinement. Il ne s’agit pas de faire une simple activité, plus ou moins liée à nous, mais de prier de telle sorte que nous soyons complètement impliqués dans la prière elle-même. Celui qui prie doit être tout entier vivant, actif et présent dans la prière, avec une attitude essentielle de foi et d’amour. C’est seulement ainsi que la prière peut être une véritable manifestation de la communion de vie et d’amour entre Dieu et l’homme et avoir une efficacité surnaturelle. Une disposition différente montrerait que nous prions pour des fruits matériels au-dessus des fruits spirituels.
En outre, dans la mesure où la vraie prière exige une profonde identification avec Jésus Christ, elle engendre dans la personne une croissance dans la bonté, l’amour et la fidélité; des valeurs qui ne sont pas faciles à vivre dans un monde qui nous menace en permanence de la tentation de rechercher des résultats matériels et tangibles. C’est une tentation qui n’a pas d’autre solution que d’accepter la prière comme un ministère qui possède l’efficacité divine qui se manifeste au milieu de son apparente inutilité; la même efficacité que nous découvrons dans l’«inefficacité» de la vie cachée de Jésus ou de sa mort sur la croix6.
Le contemplatif doit défendre par la force de son témoignage de vie que la prière possède une efficacité réelle, même si elle ne doit pas nécessairement être sensible. Dieu ne nous garantit pas que nous expérimentons sensiblement le fruit de la prière ou que nous en voyons les résultats. C’est une chose que la prière soit efficace, c’en est une autre de bien différente que Dieu nous donne un certificat tangible de cette efficacité. Savoir qu’il existe une prière qui est toujours efficace devrait suffire pour la chercher de toute notre âme et consacrer notre vie à y vivre. Et cette conviction doit être si claire et si forte que, même si tout nous dit que notre prière n’a pas été entendue, nous ne pouvons pas nous arrêter de prier, car c’est la réalité fondamentale qui soutient notre vie et sans laquelle nous ne pouvons pas vivre.
e) Prière comme foi en acte
Prier c’est, précisément, miser sur l’efficacité, profonde et invisible, de la grâce. Nous pourrions dire que la prière est la foi en acte, parce qu’elle constitue la démonstration la plus vivante de la foi. La plupart de ce que nous faisons en tant que chrétiens peut être fait comme expression de notre foi ou pour d’autres motivations. Aller à la messe, remplir nos devoirs, faire un acte de charité, etc. sont des choses qui peuvent être faites pour exprimer notre foi ou pour nous faire bien voir, pour nous sentir satisfaits de nous-mêmes ou pour obtenir certains «mérites» devant Dieu. Mais se maintenir jour après jour dans la prière, consumant notre vie dans une incessante et humble supplication, ne peut se faire que par la foi pure; sinon, il est impossible de persévérer dans la prière.
Nous pouvons maintenant nous poser la question que Jésus pose à l’occasion de la parabole du mauvais juge, et à laquelle nous avons précédemment fait allusion: «Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18,1-8). Le lien entre la foi et la prière est si fort que la foi mène nécessairement à la prière, et la prière à la foi. Ainsi, la prière, qui devra s’endurcir dans l’épreuve de la solitude, de l’aridité et de la futilité apparente, nous introduira à l’expérience la plus profonde de la foi et servira d’instrument à la foi elle-même pour se purifier, de sorte qu’à travers la foi, éprouvée dans la prière, nous arriverons à la plénitude de l’amour de Dieu.
f) Prière et croix
La vraie prière ne peut être apprise dans aucun manuel ou en suivant des directives extérieures. Pour y entrer, il est fondamental de posséder un fort désir de prier, ce qui est la preuve que nous sommes appelés par Dieu à prier. Mais nous ne pouvons vraiment prier qu’à partir de la croix, dans laquelle, plus que d’apprendre à prier, nous nous immergeons de manière vitale dans la prière, jusqu’à ce que nous ne fassions plus qu’un avec elle. Et en ce sens, la vie séculière rend possible la prière profonde car elle est constamment soumise à une multitude de difficultés et de pressions, qui nous poussent sans cesse à nous ancrer en Dieu.
Dans la mesure où on avance dans la vie spirituelle, on avance aussi sur le chemin de la croix, qui est l’unique chemin qui nous conduit à l’identification avec le Crucifié. Jésus lui-même atteint les plus hauts sommets de la prière dans les moments de plus grande souffrance, de tentation ou d’impuissance; précisément comme un fruit de sa pauvreté d’homme. Dans He 5,7 on nous dit que «il offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications», mais non parce qu’il est le Verbe, mais parce qu’il est incarné, «pendant les jours de sa vie dans la chair», sous sa condition humaine, soumise à la faiblesse de la chair. Bien que le Verbe soit en constante communion d’amour avec le Père, c’est sa condition humaine qui le pousse à se donner passionnément et douloureusement à la supplication. Et pour cette raison, il invitera ses disciples à prier en leur disant que «l’esprit est ardent, mais la chair est faible» (Mt 26,41). La faiblesse de la chair ‑vécue de multiples façons‑ devient aussi pour nous une constante motivation à prier.
B) Intercession
La manière particulière du la prière du contemplatif qui fait de lui un instrument de grâce efficace est ce que nous appelons l’intercession. Pour le comprendre, commençons par nous rappeler que nous disons souvent à quelqu’un qui souffre ou qui est en difficulté: «Je prierai pour toi»; et nous remplissons notre promesse avec quelque souvenir dans la prière ou en faisant une demande spécifique au Seigneur en faveur de la personne ou du besoin pour lequel nous avons l’intention de prier. Ce n’est pas mal, mais c’est une façon très limitée de prier, et différente de la prière que l’Esprit Saint suscite en nous, qui nous pousse à faire un saut qualitatif pour entrer dans une prière vraiment efficace, qui est l’intercession. Cette façon de prier nous introduit dans les profondeurs des autres afin que, de là, nous priions Dieu. Ainsi, nous pouvons accueillir au plus profond de nous-mêmes tous ceux pour lesquels nous prions, en ressentant dans notre âme leurs douleurs, leurs luttes, leurs gémissements…. C’est une façon de prier dans laquelle le contemplatif, s’oubliant lui-même, devient en quelque sorte ceux pour lesquels il prie; et c’est alors qu’il fait l’expérience d’une véritable compassion, qui ne consiste pas en une simple syntonie affective avec les souffrances et les besoins des autres, mais à s’approprier ces souffrances et ces besoins, à souffrir avec les autres.
Cette façon de prier est la manière propre au Christ de prier comme un «pont» entre Dieu et les hommes, et nous y avons fait référence ci-dessus en parlant de l’être du contemplatif7. Nous y avons vu comment le Verbe incarné s’introduit dans le cœur du monde pour que de là, il puisse diriger vers le Père la seule intercession efficace. Et cette intercession, que le Christ glorieux continue à faire aujourd’hui, se prolonge dans l’Église par l’intercession des baptisés. Dieu les introduit dans le cœur de l’homme et du monde8, en leur découvrant intérieurement toute la soif de la création, qui «gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement» (Rm 8,22). Et en faisant sienne cette clameur, le cœur du contemplatif devient, à travers sa prière, le réceptacle qui accueille l’humanité entière, dont il a été fait l’intermédiaire.
Ce mode de prière est vraiment efficace parce qu’en elle le contemplatif ne se dirige pas en dehors de lui-même mais vers Dieu, qui habite au-dedans de lui et le fait partager dans son cœur afin qu’il puisse entrer dans l’expérience intime de la miséricorde divine. Ainsi, le contemplatif devient le pont par lequel arrive à Dieu le cri de l’impuissance et de la misère des hommes, et la miséricorde de Dieu parvient aux hommes. Il est le point d’union qui rend possible que la main des hommes, ouverte suppliante vers l’infini, puisse être prise et soutenue par la main de Dieu, tendue miséricordieusement vers l’humanité. Une rencontre qui ne pourrait avoir lieu sans cet instrument humain qu’est le contemplatif lui-même; qui est, en même temps, sur les deux rives, celle de l’homme et celle de Dieu, pour effectuer une médiation qui ne se fait pas avec des paroles, mais avec sa propre vie, convertie en un outil de la puissance salvatrice de Dieu. C’est une instrumentalité que personne ne peut conquérir, parce qu’elle est un don; mais à laquelle Dieu invite qui il veut et pour laquelle il donne sa grâce. D’où la responsabilité du contemplatif envers l’Église et l’humanité.
Nous pourrions trouver de nombreux exemples de cette façon d’aider les autres à travers un amour efficace, converti en une prière active, qui implique toute la personne. Rappelons-nous comment la Vierge Marie a réussi la conversion de l’eau en vin à Cana (Jn 2,1-11); le Centurion, la guérison de son serviteur (Mt 8,5-13); ou la femme cananéenne, celle de sa fille (Mt 15,21-28). Et avant cela, nous pouvons contempler Abraham intercédant pour Sodome (Gn 18,23-32); Moïse combattant, par la prière, au nom de l’armée d’Israël (Ex 17,8-13) ou empêchant Dieu de détruire le peuple élu (Ex 32,10-14; cf. Dt 10,10); à Élie, en parvenant à la résurrection du fils de la veuve qui l’accueille (1R 17,20-22); ou au prophète Amos, en évitant le châtiment de Dieu sur son peuple (Am 7,1-9). Contrairement à cette efficacité, il est intéressant de voir la prière infructueuse des disciples de Jésus face à la supplication du père d’un enfant malade (Mt 17,14-20).
José Antonio Ayala, Les noces de Cana
Nous voyons donc que la compassion est au centre de notre prière d’intercession. Quand je prie pour le monde, je deviens le monde; quand je prie pour les innombrables besoins de millions d’êtres humains, mon âme s’élargit alors que j’essaie de les embrasser tous pour les amener en présence de Dieu. J’entre dans l’expérience d’une compassion qui n’est pas la mienne, mais le don de Dieu. Je ne peux pas embrasser le monde, mais Dieu le peut. Je ne peux pas prier, mais Dieu peut prier en moi. C’est une conséquence précieuse du mystère insondable de l’incarnation du Verbe: lorsque Dieu est devenu comme nous, il nous a permis d’entrer dans sa vie intime et de communier dans sa compassion infinie.
C’est pourquoi l’intercession implique donc beaucoup plus que la simple prière de pétition, car elle ne se limite pas à une pétition «formelle», mais elle s’oriente vers la pétition «vitale», qui naît du fond de notre cœur lorsque nous accueillons les besoins et la pauvreté de notre prochain. Pour cela, le cœur lui-même devient une caisse de résonance des besoins des autres pour les présenter à Dieu, non pas en parole mais à partir de l’offrande de sa propre vie, faite du dévouement, de l’amour, de fidélité, d’attention à Dieu et de croix.
En faisant cette offrande de notre vie à Dieu, nous faisons de notre prière l’écho vivant du cri de toute l’humanité, que nous avons recueilli dans nos cœurs, et, en même temps, la réponse miséricordieuse de Dieu à cette clameur. Et ainsi, l’intercession est vécue comme une union des résonances des besoins de l’humanité et des résonances du cœur du Père; des résonances qui conduisent à prier selon la volonté de Dieu et en syntonie avec les besoins du monde. C’est ce que sainte Elisabeth de la Trinité a décrit avec beaucoup de force et de clarté:
Qu’elle est sublime la mission […] d’être médiatrice avec Jésus-Christ, Lui être comme une humanité de surcroît en laquelle Il puisse perpétuer sa vie de réparations, de sacrifices, de louanges et d’adorations9.
Telle est l’efficacité que Jésus nous promet en nous proposant la prière comme manifestation vivante de la foi, en nous disant: «Tout ce que vous demanderez dans votre prière avec foi, vous l’obtiendrez» (Mt 21,22)10. C’est une efficacité qui n’est pas liée au simple fait de prier, mais au fait que notre prière soit l’expression d’une union intime avec le Seigneur, comme il nous le dit lui-même: «Ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera» (Jn 16,23)11.
Et elle porte un tel fruit qu’en plus de nous accorder ce que nous demandons, elle rend gloire au Christ et au Père:
Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai (Jn 14,13-14).
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples (Jn 15,7-8).
Et pour nous encourager à rechercher cette façon de prier et ses fruits abondants, Jésus nous invite à persévérer dans la prière à travers les paraboles de l’ami inopportun (Lc 11,5-8) ou de la veuve insistante (Lc 18,1-8), au sujet de laquelle il dit: «Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit?» (Lc 18,7).
Il existe donc une relation étroite entre le choix avec lequel Jésus nous bénit, la foi avec laquelle nous acceptons ce choix, la prière qui exprime cette foi et le fruit surabondant de notre prière:
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera (Jn 15,16).
En conséquence, l’invitation du Seigneur à la prière de demande ne concerne pas toute forme de supplication à Dieu. En nous disant que nous devons demander «en son nom», il nous appelle à prier en communion avec lui ce qui exige de nous appuyer sur l’unique efficacité véritable dans l’ordre surnaturel, qui est celui de l’intercession de Jésus Christ. Il est le seul médiateur entre Dieu et l’humanité et le seul qui nous sauve, et il le fait au moyen de la croix. Prier «en nom» de Jésus signifie donc s’unir à cette efficacité infaillible et y participer avec une communion spéciale avec lui et par l’intercession parfaite qu’il accomplit par l’offrande sacrificielle de sa vie au Père. C’est pourquoi nous pouvons affirmer que quiconque veut être efficace dans la prière doit s’identifier au Christ crucifié12.
James Tissot, Le Notre Père
Ainsi, si nous affirmons que le seul véritable intercesseur devant Dieu est Jésus Christ, nous pouvons en déduire que toute mission d’intercession dans l’Église ne fait que prolonger et actualiser cette mission du Seigneur. La véritable intercession n’est pas quelque chose que je puisse faire pour moi-même, mais elle suppose, en quelque sorte que je «prête» à Jésus Christ ma vie pour qu’il vive en moi sa mission de Rédempteur et d’Intercesseur. A cet égard, le texte de He 10,4-9, citant Ps 40,7-9, est particulièrement important:
Il est impossible, en effet, que du sang de taureaux et de boucs enlève les péchés. Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit: Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché; alors, j’ai dit: Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. Le Christ commence donc par dire: Tu n’as pas voulu ni agréé les sacrifices et les offrandes, les holocaustes et les sacrifices pour le péché, ceux que la Loi prescrit d’offrir. Puis il déclare: Me voici, je suis venu pour faire ta volonté.
Lorsque le Verbe prend notre chair, il devient le véhicule du salut, l’intercesseur par excellence. Et que fait-il? Comment accomplit-il cette mission? Pour comprendre cela, il faut partir du fait que le péché originel avait créé un problème très grave et sans solution, qui a prolongé ses conséquences désastreuses à travers les péchés de l’humanité. Personne dans le monde ne pourrait résoudre ce problème. L’homme s’était éloigné de Dieu; et à partir de là, lui survint la maladie, la solitude, la douleur, l’incompréhension, la violence, la mort… et la damnation. Et Dieu, qui aime l’homme infiniment, parce qu’il est sa créature, ne s’est pas résigné à le perdre, et a voulu le sauver. Et pour cela il a envoyé le Fils. Et qu’a fait le Fils? La lettre aux Hébreux nous le dit clairement:
En entrant dans le monde, le Christ dit: Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps […]. Alors, j’ai dit: Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté (He 10,5-7).
Ici, on recueille le texte du Ps 40,7-9 pour exprimer que le Verbe assume le désir du Père et, dans l’obéissance, s’incarne. Mais ce qui est le plus significatif pour nous, est sa disposition. Les paroles du Verbe, en s’incarnant, révèlent son attitude et nous fournissent la clé de la solution que Dieu donne à l’impossible problème de la rédemption. Dès le moment de l’incarnation du Verbe, toute l’obscurité dans lesquelles vivent les êtres humains est éclairée parce que les ténèbres du péché ont été vaincues par la lumière de Dieu, qui est le Christ. Tout a changé. Et que fait le Fils pour parvenir à ce changement? Quelle est son attitude? Elle se résume en une simple phrase par laquelle il s’adresse au Père: «Me voici»; ce qui est comme s’il disait: «Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, quelque chose de différent de moi (comme une vache, un animal, quelques fruits, etc.); mais tu m’as donné une vie, et c’est ce que je t’offre. Le voici, je te la donne!». En reprenant les paroles du Psaume 40, le mot clé avec lequel le Verbe s’incarne est clair: «Me voici».
Tout le reste, tout ce qui est la vie de Jésus et le travail qu’il fait, consiste à développer la potentialité que le «me voici» de l’Incarnation a. Il peut donc dire: «Tu ne veux pas ni offrande ni sacrifice. Vous ne voulez pas une vie de sacrifice, mais le sacrifice d’une vie, comme une offrande sacrificielle d’amour. Me voici». Et c’est précisément ce qu’est l‘intercession: l’attitude qui rend toute la vie du Christ rédemptrice. En général, nous ne voyons pas dans l’Évangile que la vie terrestre de Jésus contient de nombreux événements visiblement extraordinaires; en fait, il passe la plus grande partie de sa vie dans un anonymat absolu et, à la fin, il meurt dans un échec apparent. Mais il a offert sa vie; il a fait son offrande en fonction du projet du Père, d’une vocation qu’il a pleinement assumée. Et c’est cela, qui est le fondement de l’intercession, qui rend sa vie et sa mort efficacement rédemptrices.
La rédemption était nécessaire. Le Père la veut, il la désire. Le Fils, qui voit aussi le besoin, répond: «Me voici». Entre Dieu et le besoin de salut du monde, il y a une vie offerte, celle du Fils, qui s’exprime dans le «me voici». Et si nous nous plaçons à ce moment-là, à la place précise du Verbe qui s’incarne, et nous revivons en nous ses attitudes, alors nous actualisons dans notre vie l’intercession du Christ.
Murillo, Annonciation à Marie
Vivre la mission d’intercession, consiste à revivre en moi le mystère de l’Incarnation du Verbe, me placer devant Dieu et dire, avec la vérité de ma vie: «Me voici». Mais je ne peux pas le dire efficacement pour moi-même; cela doit être dit par le Fils, qui est le seul intercesseur; je me place donc devant Dieu, non pas comme moi-même, mais comme le Fils «qui vit en moi» (Ga 2,20), et avec lui je fais librement l’offrande de ma vie au Père.
À la lumière de tout cela, nous pouvons comprendre le processus concret d’intercession. C’est un chemin qui commence lorsque je prends avec la conscience vive du désir sauveur de Dieu; et, en même temps, je reconnais le besoin urgent de l’homme pour le salut. Et, de là, je reconnais aussi l’urgence d’unir ces deux réalités. Et comme cela ne s’unit pas avec des paroles, mais avec la vie offerte, je dois revivre le «Me voici» du Verbe: «Me voici pour que vous puissiez, à travers moi, ressentir, souffrir, aimer, offrir, transformer…. «Me voici» pour souffrir, pour aimer, pour me battre pour vous et avec vous; bref, pour que vous puissiez choisir dans ma vie ce qui est nécessaire pour accomplir ton œuvre».
Normalement, la plupart des chrétiens sont convaincus qu’ils doivent offrir des choses à Dieu. C’est fondamentalement l’attitude de base de la personne religieuse, qui est commune à toutes les religions. Mais là aussi, Jésus-Christ se distancie clairement de toutes les religions. Le Dieu que Jésus nous révèle n’est pas la divinité à gagner par des offrandes, mais le Père qui se donne inconditionnellement à nous dans le Fils jusqu’à tout donner pour nous, et cela sans aucun mérite de notre part. Ce don total de Dieu, qui est une véritable déclaration d’amour, exige spontanément, dans une correspondance juste, une réponse similaire de notre part, qui rende possible la pleine communion d’amour entre Dieu et nous. Sur ce point, nous devons reconnaître que les offrandes que nous faisons habituellement à Dieu, même si elles expriment une donation, n’impliquent pas un don de soi complet, la vie offerte. Même l’ascèse et la mortification nous amènent souvent à utiliser l’offrande de quelque chose à Dieu pour nous convaincre que nous faisons un dévouement total. Par conséquent, plus nous renonçons à des biens partiels, tels que la nourriture, le sommeil, l’argent, etc., plus on a l’impression que nous faisons un dévouement total. Mais, en vérité, on peut lâcher beaucoup de choses, même de tout, sans arriver à donner sa vie.
Ce n’est pas l’attitude du Fils, et cela ne devrait pas être la nôtre. Comme pour lui, pour nous aussi, le «me voici» doit signifier pour nous: «Je te donne ma vie, prends ce que tu veuilles. Y a-t-il besoin de sécurité? Voici mes assurances. Faut-il de la douleur offerte? Me voici. Faut-il une vie? Voici ma vie». Si nous arrivons à relier notre vie intérieure à la parole et à l’attitude du Verbe, si nous faisons nôtre son «me voici», nous n’avons besoin de rien de plus. Il nous suffit de dire, avec la vérité de notre propre vie offerte «me voici» pour entrer dans l’extraordinaire puissance de l’intercession.
Tout cela répond à un appel. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut choisir arbitrairement parce qu’on le décide ou qu’on en a envie. Même la mission du Fils de Dieu répond à un appel. Le Verbe s’incarne en vertu d’une vocation. Il sait ce que le Père ressent, et il connaît sa souffrance parce que c’est sa propre souffrance et celle de la Trinité. Et c’est de là qui naît sa «vocation» et l’envoi du Père. Il ne suffit donc pas de prononcer une simple formule: «Me voici». Il est nécessaire d’être dans cette harmonie qui lui permet de voir ce que Dieu veut, son plan de salut, et en même temps, de voir le besoin de salut du monde, pour lequel nous devons être en harmonie permanence avec le cœur de Dieu. Et puis l’intercession devient simple et spontanée. Face à tout événement, le contemplatif perçoit ce que Dieu désire et ce dont l’homme a besoin; et il se trouve au milieu de ces deux désirs, et là il trouve sa mission, percevant qui s’assemble parfaitement ce que Dieu veut et ce dont les autres ont besoin. Mais cela ne s’assemble pas spontanément; la vérité est que la réalité se présente généralement à nous comme un ensemble d’éléments qui sont désynchronisés les uns par rapport aux autres et par rapport à Dieu. Et pour qu’ils s’assemblent vraiment selon le plan de Dieu, il faut l’intercession, ce qui nécessite une seule parole, soutenue par la vie: «Me voici».
Il suffirait de nous joindre à cette parole du Seigneur pour nous identifier à son attitude et savoir que cela est efficace; et même que c’est la seule chose vraiment efficace. Et qu’est-ce que cela nous oblige à faire? Il oblige à développer une grande sensibilité spirituelle pour être en harmonie permanente avec les sentiments du Christ en toute circonstance, découvrant que tout est révélation et manifestation de Dieu. Il nous oblige à nous demander constamment: «Que veut Dieu de tout cela?»; sans quitter cette harmonie qui nous montre ce qui est important pour lui. Nous découvrons alors que ce que Dieu veut est la seule solution à chaque problème. Et la conviction se fait jour que nous ne sommes pas au milieu de ces deux pôles par hasard, mais par nécessité, de sorte que à mesure que nous nous impliquons dans la tension entre Dieu et l’homme, surgit l’impulsion ‑l’appel‑ à prendre sur soi les deux réalités qui entrent en jeu, ‑le dessein de Dieu et le besoin des hommes‑, sans nier l’une ou l’autre. Et nous offrons simplement notre vie avec un mot: «Me voici». Et nous y restons parce que, comme le Verbe, nous avons une vie humaine à offrir en faveur de la mission qui nous a été confiée.
La véritable intercession se fonde sur l’attitude de don de soi qui fait de nous des instruments de Dieu, et qui, face à un événement déterminé, pourrait être formulée comme suit: «Seigneur, tu m’as donné la perception de ton désir et de ce besoin humain, et je reconnais que je suis appelé par toi à collaborer à ta action salvatrice. Je veux donc répondre a toi en mettant ma vie inconditionnellement entre tas mains, afin que tu puisses l’utiliser librement pour réaliser ton dessein de salut». Nous parlons donc d’une mission qui implique sérieusement toute notre vie et qui matérialise toute une vocation. Ainsi, en maintenant ce «me voici» avec toute la force de mon être, je revis le mystère de l’incarnation du Christ, qui englobe tout son mystère rédempteur, et prend forme et corps dans ma propre vie offerte.
Il est évident que l’Eglise et le monde ont besoin que l’on revive les différents mystères de Jésus, en guérissant, en enseignant, en consolant, etc. Mais qui fait revivre le mystère de l’offrande de sa vie comme intercession en faveur des hommes? Dieu veut que ses enfants actualisent le don de son Fils, et il désire que cette mission soit accueillie par beaucoup, du moins par ceux qui reçoivent la grâce de la vie contemplative. Cette mission est d’une importance vitale pour l’Église et pour le monde, mais pour être vraiment efficace, elle doit être accomplie en étroite union avec le Christ. En réalité, le don de ma vie n’a pas une grande valeur ou efficacité en soi; mais si «c’est le Christ qui vit en moi» (Ga 2,20) et que je revis sa vie dans ma vie, alors mon don de soi fait partie de le sien et participe de son efficacité infinie. Mais une union profonde et intime entre Jésus et moi est nécessaire; une union qui ne se réalise que dans la croix. En découvrant l’amour du Christ, je désire l’aimer et être aimé par lui, et j’entre dans une relation amoureuse transformatrice qui me conduit à la croix. Et c’est là, sur la croix, que je peux offrir ma vie; mais ce n’est plus ma vie que j’offre, mais la vie du Christ, avec toute son efficacité rédemptrice. Puis je dis : «Me voici» et j’offre ma vie. Mais qu’est-ce que le Père écoute? Ma voix, certes, mais surtout la voix du Fils. Et il voit ma vie offerte; mais, par-dessus tout, il voit la vie de son propre Fils offerte à travers la mienne. Sa vie et la mienne ont été identifiées de telle manière qu’elles sont une seule vie offerte au Père.
C’est ce qui est vraiment efficace. Serait-il possible de penser que le Père refuserait quoi que ce soit au Fils? La vie offerte du Fils dans ma vie offerte sera-t-elle rejetée par le Père? En participant au mystère de la croix, nous pouvons entrer dans l’être du Fils et, avec lui, actualiser l’acte de don de vie que le Verbe accomplit dans l’incarnation et maintient tout au long de son existence. C’est l’intercession efficace. De là, quand je vois un besoin et que le Père me le confie comme une mission, c’est comme s’il me disait: «Regarde comme je veux que cela arrive, mais il n’y a personne pour m’aider». Et je n’ai pas besoin d’être mis sous pression ou convaincu. Une réponse simple et efficace surgit spontanément: «Me voici».
Être conscient des besoins de l’Église et du monde et, en même temps, être conscient de la présence et de la grâce de Dieu pousse le contemplatif à accomplir ce ministère de façon permanente, sachant que sa mission porte toujours du fruit, qu’il en voie ou non des résultats concrets.
Nous pouvons donc parler de vocation à l’intercession au sens général lorsque nous savons que nous sommes appelés à vivre dans un état permanent d’intercession pour tous les besoins que nous voyons dans le monde ou dans le cœur de Dieu, en sachant que notre existence offerte est extrêmement efficace. C’est une mission qui remplit et donne un sens à toute une vie.
Nous pouvons appliquer tout cela surtout lorsque nous recevons un appel concret à l’intercession, lorsque Dieu nous révèle son désir de salut et nous montre avec force un besoin spécifique et nous fait savoir qu’il nous appelle à rendre possible son action efficace et infaillible. En ce sens, nous avons une responsabilité spéciale car nous savons que la grâce et le succès de l’entreprise sont assurés tant que nous sommes fidèles à notre mission d’intercession. Ces cas revêtent une grande importance au sein du ministère de l’intercession. Par le biais d’une lumière intérieure, le Seigneur nous assure de la commande personnelle d’une mission particulière dedans l’intercession. Ainsi, nous avons l’assurance de l’intérêt de Dieu à utiliser notre ministère; mais, en outre, nous avons une garantie spéciale de l’efficacité de l’intercession. Nous voyons ici un aspect fondamental de l’intercession, qui est l’engagement; car ce ministère ne consiste en aucune forme d’évasion ou de spiritualité commode. C’est pourquoi, quand on découvre un besoin, il faut essayer de mettre tous les moyens à sa disposition pour l’assumer, en l’affrontant avec un amour réel et effectif, et en essayant de rendre présent en elle l’amour de Jésus-Christ à travers son propre amour.
Il est caractéristique de l’intercession que nous nous sentions affectés par les problèmes et les situations que nous découvrons; de sorte que nous sommes spontanément amenés à faire nôtre le problème ou la souffrance des autres; et, en même temps, à faire nôtre la souffrance et le désir de Dieu. Cette double sensibilité est un signe que Dieu est derrière nous, nous poussant à l’intercession. Parfois, il y a même une forte expérience de la souffrance, que l’on vit comme une sorte de souffrance «vicaire», qui conduit à souffrir à la place des autres, comme si l’on déchargeait la douleur des autres sur sa propre douleur; dans le style de Jésus, qui «a porté nos péchés dans son corps» (1P 2,24; cf. Is 53,4-6; Ps 68,20). Nous parlons d’une souffrance réelle, et non d’une souffrance imaginaire, qui peut être forte et déchirante, mais qui, ne quittant pas le domaine de la grâce, est endurée avec foi, espoir et amour.
En conséquence, la souffrance est un bon indicateur de que le Seigneur confie au contemplatif une mission spécifique d’intercession. Le fait que le contemplatif se sente inévitablement lié à un certain besoin et à la souffrance qu’il entraîne chez les autres peut être le signe d’une commande spécifique que le Seigneur lui donne. Ce sont des situations dans lesquelles le discernement doit être aiguisé, car la souffrance elle-même peut créer une certaine difficulté à comprendre la portée de l’intercession, de sorte que le contemplatif se sent lié à un événement ou à un besoin, mais ne connaît pas très bien le sens de ce lien, ni où il le mène. Dans tels cas, la fidélité à la volonté de Dieu doit le conduire à être prêt à tout offrir, en restant dans une attitude généreuse d’obéissance et de fidélité à Dieu, en attendant de recevoir la lumière dont il a besoin pour accomplir ce genre d’intercession.
D’autre part, lorsque Dieu fait une «commande» personnelle d’intercession, il peut donner au contemplatif la grâce de connaître et de goûter le bon résultat de sa mission. Ce n’est pas fréquent, mais Dieu l’accorde parfois pour nous confirmer dans la valeur de notre mission et nous encourager à la mener à bien avec générosité, que nous ayons ou non la preuve de son fruit.
Souvent, on ne fait pas l’expérience d’une motion significative de Dieu dans un sujet particulier, mais le contemplatif y découvre une sensibilité particulière à ce sujet, non pas tant à ce problème, mais à des problèmes de ce genre et à ce qu’ils signifient. Dans ces cas le contemplatif peut se sentir poussé à demander à Dieu de «l’accepter» comme intercesseur. En effet, l’intercession ne doit généralement pas être guidée par des commissions spécifiques de Dieu; et la connaissance des besoins des autres ou une sensibilité naturelle à ces besoins sont suffisantes pour que le contemplatif puisse orienter sa mission. Et, indépendamment de tout cela, il est toujours en notre pouvoir de nous offrir au Seigneur pour ce que nous croyons qu’il désire.
Il n’est pas rare de subir la douloureuse expérience de l’échec, apparent ou réel, qui suppose une souffrance supplémentaire à l’intercession. Mais le même sentiment d’échec humain nous permet d’approfondir notre offre et de la rendre plus large et plus généreuse, en évitant la vanité de croire que nous pouvons faire quelque chose avec nos propres forces. Si, en tout cas, cette tentation de la vanité pourrait s’abattre sur nous, nous devrions utiliser l’évidence du bien que Dieu a fait par notre intercession pour considérer combien de choses sont laissées en suspens parce que nous n’avons pas su avoir la bonne disposition et le dévouement nécessaires pour seconder la grâce.
En tout cas, le grand signe que Dieu est derrière tout est la paix, grâce à laquelle nous pouvons reconnaître que ce qui nous arrive ou ce que nous voyons vient de Dieu. C’est une paix qui est parfaitement compatible avec le travail ou la souffrance, mais jamais avec le découragement, l’inquiétude ou la tristesse.
C) Eucharistie
La mission du contemplatif dépend essentiellement de la mission du Christ à laquelle il participe. L’efficacité de sa prière, de son amour et de l’offrande de sa vie est la conséquence directe de son union avec le Seigneur et de sa participation à ces mêmes réalités vécues par lui.
En avançant dans la vie de prière, nous ressentons plus fortement le besoin de nous unir plus profondément au Christ afin de nous identifier à lui et de pouvoir revivre en nous sa vie même et les mystères salvateurs qu’elle renferme. Et pour rendre possible cette union, Jésus a laissé dans son Église l’Eucharistie, qui actualise son sacrifice rédempteur et la grâce qu’elle contient: son amour pour le Père et pour les hommes, son intercession constante en faveur du monde, sa glorification du Père, le don sacrificiel de sa vie et la puissance vivifiante de sa résurrection. Par l’Eucharistie, célébrée, reçue et contemplée, le contemplatif peut unir sacramentellement son amour, l’immolation de sa vie, la glorification du Père, sa consécration ou son intercession aux actions du Christ et, avec lui, leur donner une intensité et une efficacité infinies. De cette façon, il participe vraiment au sacrifice rédempteur du Christ et exerce efficacement le ministère que Dieu lui a confié.
Philippe de Champaigne, La dernière Cène
Le Concile Vatican II nous dit clairement que l’Eucharistie est «source et sommet de toute la vie chrétienne»13 et «contient tout le trésor spirituel de l’Église»14. Du sacrement de l’autel jaillit, comme de sa source, l’amour de Dieu, la charité envers le prochain, la communion avec les frères, les œuvres d’apostolat, le don de la vie…; car c’est de lui que se nourrit la vie chrétienne, nous poussant à aimer avec l’amour du Christ, qui est l’essence même de l’être chrétien. Et c’est à ce même autel que nous apportons notre amour, notre vie et nos œuvres afin qu’ils soient donnés et offerts au Père, par le Christ, avec lui et en lui.
La recherche passionnée de Jésus-Christ définit le contemplatif, et celui-ci le trouve dans l’Eucharistie; il goûte à l’avance ce qu’il souhaite posséder en plénitude dans le ciel. Et en même temps, l’Eucharistie est l’élan pour continuer à chercher avec une force renouvelée Celui qu’il a déjà reçu. Car le sacrement qui le soutient et le rassasie pleinement provoque aussi en lui un plus grand désir du Christ et une plus grande capacité pour le recevoir.
Le contemplatif séculier éprouve la dureté de marcher dans la vie, de la limitation de ses forces et de l’éloignement du but vers lequel il se dirige, qui est le ciel. C’est le «chemin resserré» (Mt 7,14) qui constitue la suite fidèle du Christ, la participation à son mystère pascal et la perfection par la charité. Et parce qu’il est conscient de sa fragilité et des difficultés du chemin, il vit l’Eucharistie comme le pain des faibles et la nourriture que Dieu lui donne pour le fortifier dans la mission qu’il lui confie.
Avec ce caractère de nourriture, le sacrement de l’autel contient la puissance transformatrice qui rend présente dans le monde la mort rédemptrice et la résurrection vivifiante du Seigneur. Et il nous la rend présente, afin que sa Pâque salvatrice et renouvelée puisse nous toucher, nous transformer et produire en nous ses meilleurs fruits. Ainsi, le contemplatif séculier est efficacement uni à la mort et à la résurrection de Jésus, qui n’est pas seulement le modèle de sa vie, mais la force transformatrice qui l’amène à l’union d’amour avec lui et à la communion dans sa rédemption.
L’Église confesse que la messe est un «sacrifice» parce qu’en elle le sacrifice du Christ sur la croix est rendu présent. C’est, sacramentellement, le sacrifice de l’alliance nouvelle et définitive entre Dieu et l’humanité, qui rétablit notre amitié avec Dieu, brisée par nos péchés; le sacrifice qui nous ramène à la vie, que nous avions perdue à cause de nos crimes. Ce n’est pas un autre sacrifice ajouté à celui de la croix, pas même une répétition de ce sacrifice, mais c’est le même sacrifice qui a eu lieu sur le Calvaire il y a deux mille ans et qui devient présent ici et maintenant de notre histoire.
Comme le contemplatif séculier cherche passionnément à imiter le mystère de l’immolation rédemptrice de son Seigneur, il sait reconnaître ce mystère dans la messe quotidienne et le contemple de telle manière qu’il se sent poussé à imiter le sacrifice qu’il contemple, donnant toute sa vie comme une offrande sacrificielle que, uni à celui du Christ, il présente au Père dans l’Eucharistie15.
Jésus lui-même découvre ce mystère insondable d’amour et de communion lorsqu’il nous dit: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi» (Jn 6,56-57). L’Eucharistie ne nous offre pas simplement une présence extérieure ou physique du Seigneur, ni une présence momentanée en nous, mais une présence vivante et permanente en nous qui nous permet de «demeurer» dans le Christ, et rend possible qu’il demeure vraiment en nous. Nous pouvons ainsi entrer dans une relation personnelle avec lui, de la même intensité et de la même profondeur que la relation d’amour qui existe entre le Père et le Fils. C’est cette relation d’amour qui produit en nous la vraie vie, qui est la vie trinitaire; et de même que le Christ vit par le Père, de même celui qui mange le Corps du Christ vit par lui. L’Eucharistie nous introduit donc dans la communion d’amour qui est la Trinité, dans laquelle le Père et le Fils s’unissent dans l’amour qui est l’Esprit Saint16.
Mais la communion sacramentelle ne nous greffe pas isolément dans la vie de Dieu. Puisque la Tête et le Corps ne peuvent être séparés, en nous unissant au Christ, qui est la Tête, nous sommes incorporés au Corps tout entier, qui est l’Église; et de cette façon, l’Eucharistie constitue aussi le sacrement de communion avec l’Église à travers la communion avec le Christ, comme nous le dit saint Paul: «La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain» (1Co 10,16-17).
Enfin, tout le mystère que nous célébrons à la messe reste latent dans le tabernacle, qui conserve le souvenir vivante de la passion du Seigneur et l’actualisation continue de son amour infini pour nous. En conséquence, le tabernacle polarise le regard et le cœur du contemplatif, qui y trouve le lieu idéal pour développer efficacement son ministère de prière et d’intercession.
D) Liturgie des Heures
a) Le sacrement de la prière du Christ
Domenico Zampieri, Le roi David jouant de la harpe
Nous avons déjà eu l’occasion de vérifier que la seule façon pour nous de prier en vérité ne peut être autre que de nous unir, par l’Esprit Saint, à la prière du Christ; à cause de cela, le ministère fondamental du contemplatif consiste à s’offrir à lui afin de continuer sa prière en ce temps et dans ce monde17. Et cette union avec le Seigneur ne peut être réalisée en marge de l’Église. C’est pourquoi le contemplatif séculier, membre vivant du Corps du Christ, qui est l’Église, exerce de façon singulière son ministère de prière par la participation à la liturgie des Heures.
Comme nous venons de le voir, dans l’Eucharistie ‑comme dans les autres sacrements‑ le Seigneur ressuscité est le principal artisan, celui qui accomplit le salut et qui nous unit à son action rédemptrice. Dans la liturgie des Heures aussi, c’est le Christ qui nous associe à sa prière. C’est pourquoi le sacrifice de notre vie n’a de valeur surnaturelle que lorsqu’il est uni au sacrifice du Christ dans l’Eucharistie, et notre prière n’est vraie et efficace que lorsqu’elle est unie à celle du Seigneur, qui seul peut accomplir la seule vraie prière. Ainsi, la prière de l’Église est «la voix de l’Épouse elle-même qui s’adresse à l’Époux ; et mieux encore, c’est la prière du Christ que celui-ci, uni à son Corps, présente au Père»18 Et pour que ne nous passe pas inaperçue la valeur fondamentale de notre prière «il est donc nécessaire que, lorsque nous célébrons l’Office, nous reconnaissions l’écho de nos voix dans le Christ et l’écho de la voix du Christ en nous»19.
Dans la prière des Heures, «l’Église continue de dire les prières et les supplications que le Christ a faites aux jours de sa vie dans la chair»20: notre chant rend le chant du Christ «audible»; notre prière de lamentation donne un contenu à la protestation du Christ contre le mal de ce monde; notre récitation des psaumes rend la psalmodie du Christ actuelle et tangible, non seulement celle qu’il a exécutée dans sa vie mortelle, mais aussi celle qu’il exécute maintenant en tant que Seigneur glorieux. Dans la liturgie des Heures ‑avec l’efficacité propre à la liturgie‑ nous sommes, de manière particulièrement visible, le «sacrement» de la prière du Christ, son signe visible et audible.
C’est pourquoi notre tâche dans la prière liturgique est de chercher le Christ, de nous unir à lui et de pénétrer toujours plus profondément dans son mystère par la prière; de louer Dieu et d’élever des supplications avec les mêmes sentiments que ceux avec lesquels priait le Divin Rédempteur21. Mais il ne s’agit pas seulement d’imiter quelque chose du passé, mais qu’aujourd’hui et ici nous nous unissions à une prière ecclésiale qui est vraiment la prière du Christ, qui continue à intercéder pour nous maintenant en présence du Père.
Ceci est particulièrement applicable à la récitation des psaumes car le même Esprit dans lequel Jésus a prié avec eux pendant sa vie mortelle a été répandu sur chaque personne baptisée. C’est pourquoi nous pouvons maintenant ‑avec le même Esprit et comme Jésus‑ nous approprier le psaume et l’entonner à nouveau; de telle sorte que les paroles des psaumes deviennent aussi pour nous des paroles vivantes et s’accomplissent, car nous les prions dans le même Esprit qui a inspiré la Sainte Écriture. Et c’est lui-même qui nous aide à prier les psaumes avec un sens chrétien et uni au Christ, qui les a priés sur terre et les unit maintenant à sa prière permanente au ciel.
b) Participation au sacerdoce du Christ
Cette union entre la prière de l’Église et celle du chrétien est l’un des moyens les plus efficaces pour le chrétien de participer au sacerdoce du Christ. Le sacerdoce est une médiation; et Jésus-Christ est le médiateur entre Dieu et l’humanité parce qu’il apporte le salut de Dieu au monde et élève vers Dieu la louange et les supplications du monde. Par sa mort rédemptrice et depuis son ascension, il exerce son sacerdoce éternel par son offrande et son intercession sur l’autel du ciel.
Aujourd’hui, dans le monde, le sacerdoce du Christ est rendu présent et s’exerce par l’intermédiaire de l’Église. Tous les baptisés sont des prêtres parce que nous tous pouvons et devons offrir des sacrifices spirituels, comme nous le demande saint Paul: «Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps –votre personne tout entière–, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu: c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte» (Rm 12,1). Par le baptême, qui nous unit au Christ, toute notre vie, notre être et nos actions peuvent être offerts au Père en sacrifice de louange et pour le salut du monde. Comme nous l’avons vu, cette réalité, mise en évidence par le deuxième Concile du Vatican, se réalise de manière particulière dans l’Eucharistie, où nous unissons l’offrande de notre vie au sacrifice rédempteur du Christ qui s’actualise sur l’autel22.
Et dans le même sens, la liturgie des Heures nous permet d’exercer notre sacerdoce en unissant notre prière à celle du Rédempteur. Il prie, loue et supplie dans le monde à travers la communauté chrétienne en prière. C’est comme si nous prêtions au Christ prêtre notre voix et notre chant pour que sa prière céleste soit terrestre et universelle au moment actuel de l’histoire.
Le sacerdoce du Christ, qui est à la fois glorification de Dieu et salut de l’humanité, «le Christ l’exerce, dans l’Esprit Saint et par l’Eglise… mais également, et d’une manière particulière, quand se déroule la liturgie des Heures»23 «L’Église, en exerçant la fonction sacerdotale de son Chef offre à Dieu sans relâche le sacrifice de louange… Cette prière est la voix de l’Épouse elle-même qui s’adresse à son Époux et, mieux encore, c’est la prière du Christ qui celui-ci, avec son Corps, présente au Père»24. Pour cette raison, la liturgie des Heures a une efficacité de type sacramentelle supérieure à la prière personnelle, car elle rend réellement présente la prière de l’Église et la prière du Christ lui-même.
Lorsque nous récitons ou chantons les psaumes, les hymnes et les prières de la liturgie des Heures, notre voix et notre prière cessent de nous appartenir, car nous les «prêtons» sacramentellement au Christ lui-même, qui les fait siennes. Et alors, en toute certitude, notre prière a une autre profondeur et une autre valeur, infiniment plus grande.
En plus de prolonger la prière du Christ dans le monde, la liturgie des Heures nous permet de nous intégrer à la liturgie céleste dans laquelle, unis au Seigneur, aux saints et aux anges, nous offrons au Père une louange et une glorification permanentes. Et ainsi, en nous, l’humanité et la création tout entière sont incorporées à cette glorification céleste. Par sa présence dans le monde, le contemplatif séculier actualise matériellement sur terre la liturgie céleste, transformant toute la réalité humaine en un chant de glorification du Père dans le Fils par l’Esprit.
E) Martyre
Le contemplatif séculier doit briller comme la lumière du monde; mais celui-ci il utilisera toutes ses forces contre quiconque est déterminé à vivre la même vie que le Crucifié, en essayant de l’entraîner dans une vie différente ou contraire à celle à laquelle il a été appelé. Mais c’est cette opposition même que subit le disciple du Christ qui lui permet d’offrir le témoignage incontestable de sa foi sous la forme du martyre. En fait, martyr signifie «témoin».
L’opposition de certains, l’incompréhension de ses proches, la rébellion intérieure de son propre moi et de ses passions, la pression de son environnement et de sa famille, les obstacles venant de certains membres de l’Eglise, etc.., loin d’entraver l’accomplissement de la mission que Dieu confie au contemplatif séculier, elles l’aident à la réaliser avec plus de réalisme et d’efficacité; car ce n’est que par une véritable identification au Christ crucifié que le chrétien devient un martyr (témoin) de la vérité de Dieu dans le monde.
Nous vivons une époque marquée par le paganisme, l’absence de valeurs solides, le relativisme, l’hédonisme, la crise de l’autorité dans le monde et dans l’Église, la détérioration ou la perte des valeurs évangéliques de la part de nombreux chrétiens, le rejet par le monde de l’Église et de tout ce qu’elle représente, la prolifération de toutes sortes de conflits et de violences entre nations, cultures, peuples ou familles. Tout cela, et ce que cela signifie en termes de manifestation du pouvoir du mal dans le monde, ne peut avoir comme réponse efficace que le martyre du chrétien, qui est l’immolation libre et amoureuse de sa propre vie comme expression et défense de la vérité de Dieu. Car dans ce monde, obscurci par tant de mensonges, la vérité de Dieu ne peut briller par des mots; elle a besoin du témoignage incontestable de la remise de la vie en faveur de cette vérité, indépendamment du fait que cette remise soit connu ou apprécié.
La valeur de témoignage du martyre ne réside pas dans le simple fait de la mort physique du martyr, mais dans l’amour qui le pousse à suivre le Christ jusqu’à la mort, car ce qui fonde le martyre chrétien n’est pas le fait matériel de mourir, mais le fait d’être prêt à donner sa vie par amour du Christ. C’est quelque chose qui était très clair pour les premiers chrétiens, qui ne valorisaient pas le martyre comme un acte d’héroïsme, mais comme une manifestation de l’amour parfait, qui est celui qui conduit à «donner sa vie pour ceux qu’on aime» (Jn 15,13). Pour cette raison, ils traitaient les «confesseurs», qui étaient ceux qui avaient souffert pour la foi sans mourir, avec une vénération semblable à celle qu’ils avaient pour ceux qui étaient morts d’une mort sanglante pour Jésus, et ils unissaient le martyr et le confesseur, les qualifiant de la même dénomination de «témoins» (martyrs); en même temps, ils établissaient une grande distance entre eux et les baptisés qui ne vivaient pas selon leur condition d’enfants de Dieu, qui étaient considérés comme des renégats potentiels.
Actuellement, le risque que le disciple du Christ subisse la mort pour sa foi est limité à quelques pays où la persécution des chrétiens est extrêmement violente. Mais le fait que sa vie ne soit pas en danger ailleurs ne dispense pas le contemplatif de vivre en permanence «crucifié avec le Christ» (cf. Ga 2,19) et de mourir avec lui à chaque instant. La passion pour Dieu qui le consume et la douleur pour le péché des hommes le déchirent et font de lui un véritable «témoin» de Dieu dans le monde.
C’est pourquoi la mission du contemplatif exige qu’il reconnaisse la nécessité d’un martyre ‑non sanglant, mais non moins douloureux‑ et qu’il l’embrasse comme le seul moyen d’être vraiment uni au Crucifié et de pouvoir lui rendre un «témoignage» véridique de lui devant le monde. Ce besoin exige que le martyre, même s’il n’est pas physique, soit réel. Par conséquent, tout comme le monastère offre au contemplatif monastique l’opportunité d’embrasser une vie de solitude et de renoncement, qui rend possible un martyre sans effusion de sang, dans le cas du contemplatif séculier, c’est le monde même dans lequel il vit immergé qui devient, avec les difficultés qu’il présente, l’instrument providentiel pour faire de lui un véritable martyr.
F) Transparaître au Christ
Le contemplatif est habité par Dieu, qu’il rencontre au plus intime de son être. Par conséquent, nous pourrions le définir comme Theophorus ou «Porteur de Dieu». Étant le récipient où se déverse la présence de Dieu, celui ci devient un instrument pour que cette présence atteigne les autres, même en dehors et bien au-delà des mots ou des actions apostoliques concrètes.
Pour bien comprendre cela, il faut revenir de plus en détail sur le mystère de la vie ordinaire de Jésus, Marie et Joseph à Nazareth. On y découvre, à travers le témoignage de la vie de leurs protagonistes, que l’on peut faire beaucoup de bien, même un bien infini comme le salut, sans paroles, sans sermons, sans actions visibles, sans bruit, sans moyens extraordinaires. Il suffit de vivre en profondeur comme Dieu le veut: rester très uni à Dieu dans le silence, le recueillement, la simplicité, l’humilité et la pauvreté; dans l’accomplissement fidèle et aimant du devoir, dans le travail simple; dans la bonté et la tendresse envers ceux qui nous entourent; dans la serviabilité… Une des grandeurs ‑et non la moindre‑ de la vie de Nazareth est qu’elle est facilement imitable par tous, mettant à notre portée le fruit extraordinaire qui lui est propre.
John Everett Millais, Le Christ dans la maison de ses parents
A Nazareth, Jésus ne vit pas dans l’oisiveté; mais il ne se limite pas non plus au simple horizon du travail manuel: il travaille dur pour le salut de toute l’humanité. Et il le fait non pas en prêchant avec des mots, mais par l’exemple de sa vie; non pas en annonçant l’Évangile, mais en le vivant.
Jésus, Marie et Joseph vivent en permanence en glorifiant le Père, et leur vie, remplie de Dieu, devient un tabernacle de la présence de Dieu parmi les hommes; ainsi, bien qu’ils ne le voient pas et ne l’apprécient pas, ils vivent près de Dieu et sont sanctifiés par cette Présence qui est amour salvateur; et de là, ils sont des canaux de salut pour le monde entier.
La vie de Jésus à Nazareth est habituellement définie comme une «vie cachée», comme l’expression d’un type d’existence caractérisée par l’humilité, la pauvreté, l’obéissance, le recueillement et le silence. Mais nous devons aller plus loin, pour découvrir qu’il s’agit d’une vie cachée car Jésus cache son être de Fils de Dieu même dans l’environnement le plus proche, celui de sa famille et de ses amis, en fusionnant sa vie avec la vie ordinaire des personnes qui l’entourent. Il n’a pas de souci «apostolique» à extérieur, car le Seigneur choisit librement de sauver le monde à travers une existence caractérisée par la pauvreté à tous égards.
Le contemplatif séculier, qui cherche l’identification la plus parfaite avec son Seigneur, ne se contente pas d’adhérer intérieurement à lui, mais cherche à s’identifier le plus parfaitement possible à son propre mode de vie. Le fait qu’il doive vivre dans le monde lui rend cette identification extraordinairement facile et l’aide à y revivre la vie même de Jésus en lui. Ainsi, Nazareth devient pour le contemplatif séculier le moyen de vivre la vie même du Seigneur et de s’identifier à lui; c’est pourquoi, il ne cherche pas à embrasser une vie de dissimulation, d’échec, d’usure et d’humiliation pour elle-même, mais uniquement parce que c’est la vie que Jésus-Christ a embrassée. Et il n’aime la vie cachée que comme une conséquence directe de son amour pour le Seigneur et du besoin de vivre, aussi exactement que possible, la vie qu’il a vécue.
La vie de Nazareth, à laquelle s’identifie le contemplatif séculier, constitue la synthèse la plus parfaite du don absolu à Dieu et de la pleine présence au monde. Mais pour que le contemplatif devienne un instrument efficace de cette «présence» transformatrice de Dieu en lui, il faut qu’il soit conscient de l’inhabitation de Dieu dans son âme, qu’il s’unisse intimement à Dieu par l’amour et s’identifie pleinement au Christ par son imitation la plus parfaite25. Concrètement, c’est une vie caractérisée par:
- -Un élan passionné pour vivre pleinement l’imitation de Jésus-Christ, avec le désir de lui ressembler le plus parfaitement possible en tout.
- -Le silence et le recueillement habituels, comme signe d’intimité avec Dieu.
- -La contemplation, ou un regard d’amour toujours dirigé vers Dieu, en découvrant sa présence et son amour dans la vie quotidienne.
- -La glorification de Dieu par toutes sortes d’œuvres compatibles avec la vie de Nazareth.
- -Une vie dans l’obéissance, comme conséquence de la pleine docilité à la volonté de Dieu et au mode de vie de Jésus.
- -Vivre les réalités ordinaires comme un moyen de consacrer sa vie à Dieu.
- -Eviter toute angoisse et tout souci, en faisant simplement ce que vous pouvez, en attendant tout de Dieu.
- -L’amour fraternel, qui conduit à vivre comme un frère pour tous et à se mettre à leur service.
- -La pauvreté et la prédilection pour les pauvres, comme manifestation de l’amour des valeurs évangéliques.
- -L’estime pour les travaux et les tâches les plus humbles.
- -S’embrasser avec amour la croix à travers les difficultés, en signe de l’abandon sacrificiel de sa propre vie à Dieu et pour le bien de ses frères.
- -Le renoncement à l’efficacité, au prestige ou au succès, en cherchant à offrir la vie dans l’anonymat et la gratuité.
En vivant tout cela, le contemplatif devient un puissant prédicateur de l’Évangile; un prédicateur certes «muet», parce qu’il ne se sert pas principalement de la parole, mais d’une efficacité énorme, parce qu’il est lui-même «un autre Christ», qui permet à ceux qui le regardent de voir le Seigneur.
A ce stade, nous devons être conscients de la prédilection que le monde a pour les chrétiens qui se consacrent à des tâches sociales, et du mépris qu’il manifeste pour tout ce qui ne prétend pas à une efficacité humaine et visible claire. Par conséquent, est en harmonie avec le chrétien qui est plus actif ou plus efficace. Mais si jamais quelqu’un a besoin de quelqu’un à qui confier la partie la plus profonde de notre vie, on cherche la personne qui «transparaît» le Christ par la simplicité de sa vie. Par conséquent, nous devons nous passer des critères du monde comme base de discernement de l’efficacité de notre mission.
L’imitation pure et simple de Jésus-Christ non seulement définit le contemplatif, mais constitue la meilleure façon d’apporter le salut à l’humanité. Le Seigneur l’affirme de diverses manières lorsqu’il dit : «Suis-moi» (Mc 2,14; Lc 5,27; Jn 1,43; etc.), «Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive» (Jn 12,26), «Le disciple n’est pas au-dessus du maître» (Lc 6,40). Il ne nous parle pas, en principe, de «faire», mais de le suivre, de l’accompagner, de le connaître, de l’aimer… Cela ne signifie pas que nous ne devons rien «faire» du tout, mais que ce que nous faisons doit être la conséquence et l’expression de la suite amoureuse du Christ. Il nous enseigne aussi l’efficacité du travail accompli humblement et par amour; traverser la vie, comme lui, «en faisant le bien» (cf. Ac 10,38); vivre désarmés face à l’injustice, se sacrifier sans résister, sans parler, jusqu’à monter sur la croix. Pour vivre cela, il est nécessaire d’approfondir notre contemplation de Jésus-Christ, en essayant de découvrir sa présence au milieu de nos activités quotidiennes, en donnant toujours la première place au spirituel. Et à partir de cette expérience et de cette vie, nous pouvons laisser couler et rayonner l’amour infini de Dieu pour tous les hommes; cet amour pour ceux pour lesquels le Christ est mort; l’amour que Dieu a déversé sur nos pauvres vases d’argile (cf. Rm 5,5), pour faire de nous des instruments capables de remplir l’humanité entière de l’amour divin.
Avec celle de Jésus, la vie de Marie illumine puissamment la vie du contemplatif séculier. De l’annonciation à la naissance de son fils, elle est la véritable Théophore, ou «Porteuse de Dieu», et sa façon de vivre nous montre le style de vie propre au contemplatif dans le monde. Et comme Marie, le contemplatif a été choisi pour vivre l’inhabitation de Dieu en lui de manière consciente et permanente, divinisant ainsi toutes les choses, même les plus ordinaires et vulgaires, et restant, à travers toutes ses actions, dans une adoration continuelle de Dieu. Cette attitude ne l’empêche pas, comme Marie, de se consacrer aux tâches extérieures, au milieu desquelles il continue à vivre plongé en Dieu et consumé par son amour.
Un exemple très important de cette vie-en-Dieu au milieu de l’activité nous est offert par la visite de la Vierge à sa cousine Elisabeth (Lc 1,39ss). Saint Luc nous dit qu’immédiatement après l’Annonciation, Marie «se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée et salua Élisabeth». Elle venait de vivre une profonde expérience surnaturelle, dans laquelle lui étaient manifestées l’action extraordinaire que Dieu accomplissait en elle et la mission très spéciale qu’Il lui confiait. C’est un événement qui a dû avoir une résonance énorme chez Marie et qui a signifié, outre l’impact du moment, un changement radical dans ses plans et ses projets. Elle a été secouée en permanence par Dieu afin d’opérer le dépouillement qui lui permettrait de configurer sa vie à nouveau. Cependant, rien de tout cela ne l’empêche d’être consciente des besoins de son entourage et de faire ce qu’elle peut pour les aider avec charité et selon ses possibilités. Ainsi, loin de rester enfermée dans son expérience spirituelle ou de se replier sur elle-même, elle devient particulièrement sensible à la situation de besoin de sa parente Elisabeth, sans cesser d’être intérieurement consciente de Dieu et de son œuvre.
Mais ce service que la Vierge rend à Elisabeth va au-delà d’une simple aide matérielle dans une situation de besoin. Elle entreprend un voyage dans le cadre de la mission qui découle de sa rencontre avec Dieu. De telle sorte que Marie ne part pas seule, car elle emmène Jésus avec elle. Et ainsi, le service matériel qu’elle rend à Elisabeth se transforme en l’œuvre de sanctification que Jésus-Christ accomplit. Elle, la «Porteuse de Dieu» par excellence, porte partout la Présence silencieuse, cachée et efficace du Rédempteur. De cette façon, l’humble travail de Marie est un moyen pour l’œuvre rédemptrice du Fils. Et le fait qu’elle porte Jésus, qui «habite» en elle, fait d’elle un instrument de sanctification pour les autres.
Ce mystère qui s’accomplit dans la Vierge Marie est le même que Dieu veut accomplir dans le contemplatif séculier, appelé, comme elle, à être un vase vivant de Jésus-Christ, à apporter le salut en silence à tous ceux qui l’entourent, en devenant le tabernacle du Christ au milieu du monde, en rendant le Seigneur présent, non par la parole mais par sa présence silencieuse, en prêchant l’Évangile non pas avec sa bouche mais avec sa vie, en coopérant efficacement à la sanctification du monde.
La contemplation de ces mystères du Seigneur et de Marie nous révèle clairement le lien essentiel entre l’être et la mission du contemplatif séculier. Il vit dans le monde selon le dessein de Dieu; mais aussi, selon le dessein de Dieu, il est appelé à vivre une mission sacrée et très importante qui transcende le monde. C’est une mission qu’il accomplit fondamentalement par le simple fait d’être ce qu’il est, car par son être essentiel, il rend Jésus-Christ présent et diffuse la grâce de Dieu autour de lui. Mais, en outre, il est appelé à vivre dans la plus parfaite imitation de Jésus-Christ à Nazareth, en transparaissant clairement la forme de vie propre à Jésus-Christ et en étant un canal de l’efficacité de la présence du Seigneur, qu’il rend présente dans le moment historique où il vit.
G) Reconnaître l’empreinte de Dieu
Le contemplatif séculier est conscient d’être habité par Dieu. Il vit sous le regard divin et est accompagné par la présence permanente du Seigneur, de sorte que tout ce qu’il dit ou fait, et tout ce qui se passe autour de lui, est imprégné de cette présence. Pour lui, tout est un don de Dieu; et en même temps, tout est une manifestation de sa présence. Il n’existe rien ni personne qui puisse être considéré, à proprement parler, comme profane; tout est sacré. Tous les événements, circonstances, rencontres et moments révèlent la présence de Dieu et sont des signes de sa bénédiction. Ainsi, le temps devient sacré, et tous les éléments de l’existence sont dissous et unifiés dans le feu de la présence aimante de Dieu.
A partir de la présence de Dieu dans l’abîme intérieur du contemplatif, il devient un adorateur permanent du Bien-Aimé. Il le reconnaît d’abord en lui-même, agissant de multiples façons, mais semant toujours partout son amour infini et cherchant la communion d’amour et de vie avec tous les hommes. L’amour divin, qui a été déversé dans son cœur par l’Esprit Saint, fait aussi de lui un chercheur passionné de Dieu, car sa vie n’a pas d’autre sens que de découvrir ce Dieu qui l’a aimé au point de tout donner dans le Fils crucifié. Et cette recherche lui fait découvrir avec une grande force la présence silencieuse de Jésus dans l’Eucharistie, faisant du tabernacle un lieu privilégié dans lequel elle l’adore et s’unit à lui par amour. De même, les personnes, les circonstances et les événements sont aussi des voies de la présence du Bien-Aimé, qui, derrière tout, nous invite à la communion de vie et d’amour avec lui. Le contemplatif séculier, amoureux de l’Amour, cherche en toute chose l’empreinte du Dieu pour qui il soupire pour pouvoir l’adorer à chaque instant et en toute circonstance. Une adoration qui n’est pas statique ou formelle, mais vitale, car il cherche à faire de sa vie une offrande vivante à Dieu26, en accomplissant sa volonté à chaque instant.
Ce besoin et cette capacité de découvrir l’empreinte de Dieu en toute chose le poussent fortement à la rechercher, surtout dans ses frères, à adorer en eux le Dieu caché qui vit à l’intérieur de l’autre, en faisant de la rencontre interpersonnelle un motif de prière, de dialogue intérieur et amoureux avec ce Dieu, caché et en même temps présent, qui s’offre à lui dans les autres; et en essayant toujours de servir le Bien-Aimé à travers l’humble service aux frères.
De là jaillit une manière d’agir qui marque clairement la vie du contemplatif séculier et ses relations, en ne rendant personne indifférent à partir du moment où il découvre et vit la mission spéciale que Dieu lui confère par rapport aux autres, qui deviennent, sous le regard nouveau que Dieu lui donne, une occasion providentielle de participer fructueusement à la mission rédemptrice de Jésus-Christ.
Il faut souligner l’importance que revêt cette action en tant que véritable ministère, étant donné le besoin pressant qui existe dans l’Église et dans le monde de personnes capables de porter la présence et l’action de Dieu aux autres. Et cela ne peut se faire de n’importe quelle manière. Tout chrétien est habité par Dieu, mais le contemplatif séculier sait le reconnaître. Et dans la mesure où il est conscient et vit cette présence, qui est une présence active, son efficacité rédemptrice est actualisée. C’est la base de ce ministère: la nécessité d’apporter cette présence au monde pour que le salut vienne au monde. Dieu est le Sauveur; mais il veut utiliser le ministre pour apporter sa présence aux autres: Le contemplatif, reconnaissant Dieu présent en toute chose, est comme s’il «récupérerait» cette présence pour qu’elle devienne effective. C’est un ministère, une «action»; il ne suffit pas d’être contemplatif, mais il faut agir, en rachetant cette présence du Seigneur, afin qu’elle se manifeste avec toute sa puissance et son efficacité surnaturelle.
H) Discernement
La conscience de la présence de Dieu dans son âme rend le contemplatif très sensible à la volonté de Dieu; et son attention au souffle de l’Esprit Saint lui permet de découvrir, de manière simple et connaturelle, non seulement la présence et l’amour de Dieu en toute chose, mais le dessein de Dieu sur sa propre vie, sur les autres et sur l’univers entier.
Cette sensibilité est la clé du discernement, et la grâce qui permet au contemplatif de vivre toujours dans la lumière de Dieu et, en même temps, de projeter cette lumière sur les autres. C’est une grâce qui doit être soigneusement entretenue par la prière elle-même, et surtout par la direction spirituelle, dans laquelle s’exerce et s’aiguise la vision surnaturelle de toutes les réalités.
La capacité de discernement est particulièrement nécessaire dans un monde de plus en plus opaque à la grâce; par conséquent, tout en rendant le Christ transparent au monde et en découvrant la main de Dieu en toute chose, le contemplatif séculier doit apporter la lumière de Dieu à tant de personnes qui marchent dans les ténèbres, pour éclairer leur vie à la lumière de la foi et leur montrer le chemin du salut.
Ce service ne doit être offert que lorsqu’il est nécessaire, et très humblement, et ne présuppose pas qu’il sera accepté de bon gré par tous. Dans cette mission, le résultat immédiat n’est pas si important que d’être une référence vivante du plan concret de Dieu pour l’humanité et pour chacun de ses membres.
I) Amour
La vie contemplative séculière exige de vivre dans une tension permanente d’éternité au milieu de déchirement entre l’humain et le divin, ce qui oblige à s’immerger dans un amour passionné pour Dieu et, simultanément, à exprimer le plus grand amour pour ses frères, pour lesquels on accepte et offre sa propre vie crucifiée. Cet amour pour les autres, qui trouve sa plus haute expression dans le don sacrificiel de sa propre vie, conduit nécessairement à vivre la charité de manière permanente et simple.
Le contemplatif séculier vit motivé et dirigé par l’amour de Dieu et du prochain. Il aime Dieu de tout son être et en vérité, pas seulement en théorie ou en intention. Il aime aussi les autres de manière réelle et concrète; et, comme l’être humain n’est pas un pur esprit, son amour fraternel se manifeste par une amitié réelle, une affection, une compréhension et une aide efficace.
Vivre la présence permanente de Dieu ne fait pas de lui un être insensible ou distant. Il sait qu’il est le frère de tous et son attention à Dieu se traduit nécessairement par une attention à son frère, qui le rend proche et accueillant, simple et cordial, attentif et joyeux, respectueux et tendre…, revivant dans le concret de la vie le style de vie propre à Jésus à Nazareth.
La présence vivante de Dieu, qui habite le contemplatif séculier, se traduit par une effusion permanente de ce même amour de Dieu qui l’inonde et le consume, le poussant à donner sa vie en faveur de ses frères. Ce «l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné» (Rm 5,5), et rend le contemplatif particulièrement sensible aux besoins de son prochain, car il lui donne, avec l’amour de Dieu, le regard et le cœur de Dieu lui-même. Grâce à eux, il expérimente avec une force vive ce que Dieu ressent et ce que les gens ressentent.
Cette vision renouvelée que possède le contemplatif séculier lui permet de découvrir les besoins des autres et de pouvoir leur offrir la seule réponse pleine et vraie, qui est l’amour divin qu’il a reçu. Ainsi, l’amour concret de sa vie consacrée fait de lui le pont que Dieu construit vers les hommes pour leur apporter son amour infini et rédempteur.
Par conséquent, l’une des caractéristiques les plus significatives du contemplatif séculier est la charité, qui colore toute sa vie d’une couleur particulière. L’amour doit avant tout être pour Dieu, avec tout ce que cela signifie d’attention, d’écoute, de réceptivité, de docilité et de prière. Et de cette source inépuisable qu’est Dieu-amour, il doit étendre son amour aux autres, en sachant les accueillir avec bienveillance, en étant attentif aux besoins des autres, en disant le mot juste et en les corrigeant si nécessaire; en leur consacrant son temps, son énergie ou son argent; et tout cela sans aucune acception de personnes, mais en fonction des besoins réels du frère. Ceci, qui est vrai pour tous, doit être appliqué spécialement aux pauvres, de tous genres puisqu’ils représentent le Christ de manière réelle et concrète.
J) Pauvreté
Celui qui n’a que Dieu comme seul et fondamental bien est nécessairement pauvre par rapport à tout le reste, et devient détaché et libre de biens, d’affections, d’œuvres ou d’intérêts27. Car celui qui a le cœur en Dieu ne peut le fixer sur aucune autre réalité, aussi bonne et sainte soit-elle. La grâce de la vie nouvelle en Christ le pousse à vivre chaque jour davantage pour Dieu et le rend plus libre de tout ce qui n’est pas Dieu. De telle sorte que la pauvreté fait partie de la spiritualité du contemplatif séculier, et sa valeur ne réside pas dans le simple renoncement aux biens matériels, mais dans ce qui la sous-tend, qui est l’imitation de Jésus-Christ pauvre. La pauvreté n’est donc pas seulement la privation, mais l’acceptation, par amour, de la privation. Au fond, il s’agit d’un acte de liberté par rapport aux biens matériels et aux biens de toute nature, comme l’a fait le Seigneur. C’est pourquoi la pauvreté évangélique ne conduit à aucune forme de stoïcisme, puisque le détachement n’est pas recherché pour lui-même, mais est un témoignage naturel de l’amour de Dieu qui remplit le cœur.
Mais nous devons réussir la pauvreté réelle, car l’intention ne suffit pas. Et pour cela, nous devons prêter attention aux signes qui montrent notre manque de pauvreté: fondamentalement l’inquiétude, qui révèle la peur de perdre quelque chose, et la tristesse, dont la cause est souvent que nous avons perdu quelque chose. Il est clair que ce ne sont pas simplement les biens matériels qui sont en jeu, mais l’attachement à toute autre réalité que Dieu, qui est à la base du manque de pauvreté. Si nous sommes inquiets des résultats d’un travail ou tristes d’avoir échoué, nous pouvons y découvrir un manque de pauvreté par rapport aux résultats de ce travail. Si nous sommes angoissés par la recherche de l’affection ou tristes de la perdre, nous sommes confrontés à un manque de pauvreté par rapport à les affections.
Dans un sens positif, le grand signe qui identifie la pauvreté est la liberté, qui est propre à celui qui n’a rien à perdre parce qu’il ne possède rien. L’expérience de la pauvreté évangélique donne à la vie du contemplatif une tonalité lumineuse de liberté, qui se manifeste dans toute sa vie et se montre au monde extérieur sous forme de joie. Par conséquent, pour être vraie, la pauvreté du contemplatif séculier doit être joyeuse, car la joie est le signe propre de la liberté d’esprit et du dévouement à Dieu. Elle doit également englober toutes les sphères de possession possibles: argent, temps, énergies et capacités, biens matériels, valeurs, affections, etc. En outre, elle doit être significative, c’est-à-dire perceptible; il ne suffit pas qu’elle soit intérieure ou intentionnelle, mais réelle et visible de l’extérieur. Elle doit également être généreuse, ce qui conduit à une prédisposition ouverte à donner à ceux qui en ont besoin. Et enfin, elle doit être accompagnée d’un grand amour pour les pauvres, en qui nous reconnaissons une présence privilégiée du Seigneur.
Dans la mesure où le contemplatif séculier vit dans le monde, il doit être un signe des réalités célestes devant les autres; et la pauvreté fait partie de son témoignage. Il ne s’agit pas de faire étalage de quoi que ce soit, mais il ne s’agit pas non plus de cacher le trésor qu’il porte et dont la présence peut être découverte à travers la joie et la liberté qui ne s’expliquent que parce qu’elles viennent de celui qui est vraiment pauvre.
Le contemplatif qui vit dans le monde utilise les choses, entre en relation avec les autres et a un style de vie qui montre que Dieu est son tout, qu’il remplit pleinement sa vie et qui Dieu seul lui suffit. Et ce témoignage doit avoir la visibilité du concret; ainsi, la centralité de l’amour de Dieu doit se traduire par des choix réalistes et visibles, qui conduisent à une vie marquée par l’austérité personnelle et le service aux autres, en fuyant le confort ou le consumérisme qui nous entoure. Cela n’implique évidemment pas un détachement si absolu qu’il empêche la vie dans le monde, mais cela implique un style de vie caractérisé par l’austérité et le renoncement à de nombreuses réalités superflues, qui permet de vivre dans le monde, mais en étant témoin de la liberté propre à celui qui vit ancré dans l’amour de Jésus-Christ.
K) Simplicité et transparence
Il existe une réalité singulière dans laquelle s’expriment en même temps l’amour et la pauvreté qui doivent caractériser la vie contemplative. C’est la «communication». Le contemplatif séculier n’est pas un être réservé ou étrange, mais il communique en vérité et en profondeur, car l’amour présuppose la communication, ce qui a beaucoup à voir avec la pauvreté. On est pauvre parce qu’on ne possède aucun bien, ni matériel ni spirituel. C’est pourquoi on ne peut pas s’attacher, avec angoisse, à quoi que ce soit. Non seulement à l’argent ou au confort, mais aussi au succès, à la sécurité, et même pas à son image ou à sa propre intimité. Le pauvre ne se comporte pas comme celui qui est le propriétaire jaloux de sa vie ou de son intimité. Par conséquent, outre la prudence et la discrétion naturelle dans tout ce qui a caractère réservé, le contemplatif est transparent. Cela ne signifie pas qu’il doit parler beaucoup, mais qu’il se laisse connaître par les autres et cherche à être connu en profondeur par eux.
Si je suis diaphane pour ceux qui m’entourent, ils le seront aussi pour moi, car je me place au niveau de la communication sincère et profonde de la vérité. Une personne transparente crée la transparence chez les autres et empêche une communication opaque et confuse; cela exige une grande ouverture de cœur, de la disponibilité et du renoncement, mais toujours loin de toute forme d’exhibitionnisme ou de curiosité. C’est précisément ce qui empêchera l’ennemi de l’entraîner sur les chemins des ténèbres et de la dissimulation, car dans le domaine de la transparence le diable n’a rien à faire.
Et en cela, une simple attitude humaine de sincérité et d’ouverture ne suffit pas; il faut quelque chose de beaucoup plus profond et de surnaturel. La gloire de Dieu qui existe en moi peut faire ressortir la gloire de Dieu qui existe en l’autre. Cela m’oblige à prendre conscience de ce don que je possède et qui est partagé avec les autres. Ainsi, lorsque je rencontre et parle à une autre personne, nous pourrions dire que Dieu parle à Dieu, l’Esprit à l’Esprit, l’Amour à l’Amour; et cette rencontre devient alors grâce et salut. Cela peut s’appliquer à tout type de relation, mais surtout à la relation entre contemplatifs, dont la communion d’amour rend possible, de manière particulièrement intense, cette communion trinitaire qui s’actualise en nous.
Nous devons être conscients que la plus grande difficulté à vivre la simplicité et la transparence évangéliques réside principalement dans le manque d’acceptation de soi. C’est quelque chose qui a généralement une base psychologique, et qui finit par impliquer sérieusement toute la vie spirituelle, nous empêchant de vivre sérieusement la pauvreté, car n’est pas vraiment pauvre celui qui ne s’accepte pas tel qu’il est ou qui n’est pas capable d’accepter les autres tels qu’ils sont.
Celui qui souhaite vivre de manière contemplative doit être assez humble pour laisser les autres le voir tel qu’il est vraiment, et assez bienveillant pour les voir tels qu’ils sont, sans les juger ni les condamner. C’est l’attitude évangélique qui mène à la liberté, car elle élimine la peur de ce que les autres diront et élimine le besoin de paraître devant les autres d’une certaine manière.
Maintenant, que pouvons-nous faire si nous manquons de transparence? Outre les différences normales entre les divers caractères ‑communicatifs ou réservés‑, le problème réside généralement dans un besoin plus ou moins conscient de cacher ou de falsifier sa propre image pour certaines raisons psychologiques, telles que la peur du ridicule ou de l’échec, la dépendance à l’égard de l’opinion des autres, le besoin exagéré d’être aimé ou apprécié, etc. Une fois que nous sommes conscients du problème, nous devons faire très attention aux justifications spirituelles auxquelles nous recourons pour défendre nos peurs et leur donner l’apparence de la vertu. La transparence ne peut être atteinte que si nous nous impliquons réellement, en nous obligeant à donner aux autres ce qui est bon pour nous; car en manifestant ce que nous croyons et vivons dans la réalité, nous éviterons de nous réfugier dans des expressions théoriques qui entravent le passage de la grâce.
Seuls ceux qui sont simples et transparents peuvent vivre en harmonie avec eux-mêmes et avec les autres, car seuls ceux qui ont ces attitudes peuvent vivre en harmonie avec Dieu, qui fuit toujours la complication et l’artifice. Jésus lui-même, modèle d’authenticité et de transparence, nous invite à embrasser la simplicité évangélique, qui n’a rien à voir avec une ignorance naïve (cf. Mt 10,16). C’est tellement important que nous pouvons dire que la transparence est un véritable ministère et, par conséquent, qu’elle implique un travail et une lutte, et qu’elle a un prix, car souvent, après un exercice de manifestation profonde, il peut rester en nous un douloureux sentiment de vide et vulnérabilité, que nous ne devons pas éviter, mais accepter dans la pauvreté.
Nous devons également tenir compte du fait que la clarté produit un rejet chez ceux qui ont intérêt à se cacher ou à dissimuler; surtout lorsque le diable peut être derrière leur dissimulation. Mais il y a des gens bons, très conditionnés par des peurs ou des complications, qui ont besoin qu’on leur offre une transparence gratuite pour se libérer de leurs chaînes. Plus notre transparence est grande, plus le rejet que nous provoquons dans le monde de la duplicité et de la feinte est grand, mais aussi plus grande est la capacité de se connecter avec ceux qui essaient de vivre dans la vérité et la liberté. De cette manière, la transparence devient un apostolat authentique. De là, le contemplatif devient un lien de communion avec les autres dans la vérité, et crée autour de lui la fraternité à laquelle Dieu nous appelle tous et pour laquelle il nous a créés.
Notons enfin que rien n’est plus éloigné de la véritable transparence propre au contemplatif que la réserve alambiquée qui caractérise certaines spiritualités, plus soucieuses de donner une image lointaine et «spirituelle» que de générer une véritable communion entre les personnes.
L) Missions et vocations particulières
Bien que tous les contemplatifs séculiers partagent la même vocation, chacun la vit d’une manière unique et personnelle, fruit de l’action irremplaçable de l’Esprit Saint dans chaque âme. Ainsi, certains seront particulièrement appelés à vivre la pauvreté, d’autres la Parole de Dieu, d’autres le silence, d’autres la douceur ou la croix… Ces différentes nuances et approches, si elles sont vraies, serviront à vivre plus profondément la vocation contemplative séculière et à grandir dans l’amour surnaturel qui construit l’unité à partir de la diversité.
Il en va de même pour les tâches apostoliques auxquelles Dieu nous appelle, selon son particulier dessein d’amour et de salut. La vie contemplative séculière, par le fait qu’elle se déroule dans le monde, participe à la mission apostolique propre à l’Église; une mission qui se fonde sur la prière et l’intercession, mais qui doit normalement projeter sa propre vie intérieure dans les différentes vocations et missions ecclésiales, qu’elles soient consacrées, sacerdotales ou laïques, ainsi que dans les différentes tâches apostoliques paroissiales, diocésaines, etc.
La vocation et la mission propres du contemplatif séculier l’obligent à valoriser et à défendre tant sa vocation particulière que les tâches apostoliques auxquelles Dieu l’appelle, qui sont des réalités fondamentales dont il doit se sentir pleinement responsable. Ce serait une grave erreur de prétendre qu’être un contemplatif dans le monde permettrait de réduire la vocation d’un prêtre ou d’un époux, ou de se dispenser du don total à la mission d’un père ou d’un catéchiste. Certes, la vocation contemplative est la source intérieure qui féconde toute la réalité séculière du contemplatif dans le monde, mais cela n’enlève rien à la valeur des missions et des tâches concrètes qui lui sont confiées et qui constituent le canal ordinaire pour accomplir sa mission la plus profonde de manière réelle et non comme un idéal désincarné.
NOTES
- Il convient de rappeler ce qui a été dit à ce sujet au chapitre V, paragraphe 2, Une vocation qui transforme l’être.
- Voir, au chapitre V, le paragraphe L’intercession des contemplatifs monastiques et séculiers.
- Voir le chapitre V. L’être du contemplatif séculier, en particulier le paragraphe 2. Une vocation qui transforme l’être.
- Voir, dans ce même chapitre VI, le paragraphe D) Liturgie des Heures.
- Saint Augustin, Confessions, 3, 6, 11.
- Cela apparaît tout au long du Nouveau Testament et est particulièrement développé dans saint Paul, voir 2Co 12,9-10: «C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort»; 1Co 1,18-25: «Car le langage de la croix […] il est puissance de Dieu […]. Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes».
- Voir au chapitre V. L’être du contemplatif séculier, section C) Unis au Christ médiateur.
- C’est ce que Jésus demande au Père : «Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais» (Jn 17,15).
- Sainte Elisabeth de la Trinité, Lettres, 256, Au chanoine Angles.
- Voir Mt 7,7: «Demandez, on vous donnera; cherchez, vous trouverez; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit; qui cherche trouve; à qui frappe, on ouvrira» (cf. aussi Mc 11,24).
- Voir aussi 1Jn 3,22: «Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux»; 1Jn 5,14-15: «Voici l’assurance que nous avons auprès de Dieu: si nous faisons une demande selon sa volonté, il nous écoute. Et puisque nous savons qu’il nous écoute en toutes nos demandes, nous savons aussi que nous obtenons ce que nous lui avons demandé».
- Rappelez-vous ce qui a été dit à ce sujet au chapitre V, section a) «Crucifiés» avec le Christ.
- Lumen Gentium, 11.
- Presbyterorum ordinis, 5.
- «Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle» (Lumen Gentium, 11).
- Ceci est étroitement lié à ce que nous avons vu au chapitre V, section B) Être «louange de la gloire» de Dieu; et au chapitre VI, section 1, Une mission efficace.
- Voir, dans ce même chapitre VI, section a) Prier comme mission.
- Sacrosantum Concilium, 84.
- Paul VI, Laudis canticum, 8.
- Ordonnance générale de la liturgie des Heures, 17.
- Cf. Ordonnance générale de la liturgie des Heures, 19.
- Voir Lumen Gentium, 10-11, et, au chapitre VI, section C) Eucharistie.
- Ordonnance générale de la liturgie des Heures, 13.
- Ordonnance générale de la liturgie des Heures, 15.
- Dans ce sens, voir 1Co 11,1: «Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ»; Ph 2,5ss: « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus… ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu… il s’est anéanti…».
- Voir Rm 12,1: «Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps -votre personne tout entière-, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu: c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte».
- C’est le sens de la première des béatitudes : «Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux» (Mt 5,3).