Nous vous proposons ces réflexions afin que vous puissiez découvrir ce qu’est le véritable être du contemplatif dans le monde, sur lequel il est fondé et comment l’appel de Dieu à la vie contemplative dans le monde transforme l’être. Elles sont tirées des chapitres «Le fondement de l’être du contemplatif séculier» et «Une vocation qui transforme» du livre Fondements pour vivre de manière contemplative dans le monde.
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Le fondement de l’être du contemplatif séculier
La vie contemplative commence à jaillir dans le cœur du baptisé par une séduction de Dieu: «Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit» (Jr 20,7). Il s’agit d’une séduction qui fait bouger la personne et l’oriente complètement vers Dieu, en trempant toute son existence dans la tension de Dieu et en faisant ainsi réalité l’esprit du premier commandement: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force» (Dt 6,5).
A partir de là, la vie du contemplatif pourrait être définie fondamentalement comme une recherche permanente de Dieu, qui oriente toute son existence vers la rencontre avec lui.
Votre regard ne doit être que pour Dieu, votre désir uniquement vers Dieu, votre dévouement uniquement vers Dieu; ne voulant pas servir mais Dieu seul, en paix avec Dieu, vous deviendrez une cause de paix pour les autres (Saint Syméon le Studite, Catéchèses mineures).
Cette séduction de Dieu est le fruit d’une rencontre avec lui, qui nous rencontre sur le chemin de la vie. C’est une rencontre qui se produit déjà ici et maintenant, mais comme une anticipation et une préparation à sa plénitude, qui aura lieu dans la vie éternelle. Par conséquent, le contemplatif vit dans l’espoir de la vie future, comme sentinelle qui surveille, au milieu de la nuit, l’arrivée de l’aube.
Le même nom de contemplatif fait référence à ce qui constitue l’axe de sa vie, qui est la contemplation. Et la première chose à dire d’elle est que l’objet vers lequel la contemplation s’adresse n’est pas quelque chose, mais Quelqu’un: Jésus-Christ. Il est, pour l’homme, l’image parfaite de Dieu; et il est, pour Dieu, l’image parfaite de l’homme. En Jésus-Christ, le contemplatif découvre un Dieu passionné pour l’homme dans un homme passionné pour Dieu; et ce mystère le fait sien comme un moteur profond qui illumine sa recherche de Dieu, tout en unifiant et en donnant un sens à toute sa vie. Ainsi, dans cette contemplation du Fils de Dieu, le contemplatif apprend de lui à étancher la soif radicale de Dieu qui le consume et le pousse à le rechercher passionnément1.
C’est la façon d’entrer dans un processus dans lequel Jésus-Christ absorbe le contemplatif, de sorte que celui-ci ne cherche qu’à le connaître et à l’aimer, et dans son cœur s’écrit le nom de Jésus de façon indélébile. Et ce nom, prononcé, prié, chuchoté, devient l’instrument par lequel l’Esprit Saint configure le contemplatif le purifiant, libérant, simplifiant et unifiant, jusqu’à l’amener à une harmonie, dans son être et dans sa vie, qui reflète de plus en plus parfaitement le Modèle divin.
Une première conséquence de tout cela est que la vie contemplative n’est pas quelque chose que nous pouvons fabriquer par caprice, mais une vie qui nous est donnée. En tant que séduction de Dieu, c’est un don immérité devant lequel il n’y a pas d’autre attitude que la réceptivité. Et cette grâce ne peut pas se traduire par une existence médiocre, mais exceptionnelle, qui est marquée par sa propre vocation contemplative, qui est un appel de Dieu et non quelque chose que l’on décide arbitrairement, comme s’il s’agissait d’un passe-temps ou d’un divertissement. C’est Dieu qui nous choisit pour être contemplatifs. Et on peut refuser sa séduction, mais au prix très élevé de l’échec de sa propre vie intérieure. Ce n’est donc pas un genre de vie à conquérir, mais une manière d’être qui nous devons laisser émerger de l’intérieur, où Dieu a semé, par le baptême, la graine de l’amour infini.
Car c’est précisément dans le baptême où se trouve le fondement de l’être du contemplatif. La vie contemplative, don et appel gratuit de Dieu, n’est pas un ajout à la vie chrétienne, qui est offerte à quelques privilégiés, mais elle a son origine et son fondement dans le don commun de chaque chrétien, qui est la grâce baptismale, qui nous a fait passer de la mort à la vie, nous a incorporés au Christ, en nous rejoignant dans sa mort et à sa résurrection (cf. Rm 6,3-11; Col 2,12), nous a donné le Saint-Esprit (1Co 12,13), et nous a revêtu du Christ (Ga 3,27).
Le Catéchisme de l’Église catholique nous rappelle que le fruit du premier sacrement va bien au-delà du pardon des péchés: Le baptême est le porche de la vie dans l’Esprit (n. 1213) et la participation à la vie de la Très Sainte Trinité (nn. 265,1239); il produit une véritable transformation qui fait du baptisé une création nouvelle, participant de la nature divine, membre du Christ et temple de l’Esprit Saint (n. 1265); il nous donne un être nouveau avec toutes les capacités nécessaires pour une vie chrétienne en plénitude parce qu’il nous unit à Dieu par la foi, l’espérance et l’amour (n. 1266); il nous fait vivre sous la motion de l’Esprit (n. 1266); et il nous permet de participer à la vie du Ressuscité, en devenant des imitateurs de Dieu en conformant nos pensées, nos paroles et nos actions aux sentiments du Christ, et en nous faisant suivre ses exemples (n. 1694). De cette façon, nous sommes capables du culte et du témoignage chrétiens au moyen d’une vie sainte (n. 1273), et nous pouvons rendre gloire à Dieu et aspirer à la vie éternelle parce que dans le baptême, la justice nous est accordée (n. 1992). Et tout cela, qui constitue la grâce baptismale, est un don que le chrétien a pour toujours (nn.1272-1273).
Reconnaître et vivre la grâce baptismale avec toutes ses conséquences nous conduit nécessairement à la sainteté et à la vie contemplative. Dans ce premier don, commun à tout chrétien et totalement gratuit, est contenue et exigée la vie contemplative. Telle est la grâce fondamentale qui donne au contemplatif son vrai être. Et cet être est celui qui révèle l’appel personnel de Dieu à la vie contemplative et celui que Dieu développant avec sa grâce et avec notre consentement et notre accueil. Nous pourrions donc dire que le contemplatif n’est pas le chrétien avec un ajout spécial d’intimité avec Dieu et d’union avec le Christ, mais le «chrétien plein», celui qui vit dans son intégrité la vie divine qu’il a déjà reçue. C’est quelqu’un qui a découvert dans son être de chrétien un appel à vivre la vie du Christ en toute radicalité et qui accepte que Dieu accomplisse en lui l’œuvre de la grâce, qui le conduit à être ce qu’il est: une nouvelle personne selon «la nouvelle condition humaine créée à l’image de Dieu» (cf. Ep 4,24).
La grâce de cette découverte fondamentale met en marche dans l’âme la vie contemplative et offre au contemplatif la raison de son être et de sa vie. Au fond, tout se résume à quelque chose d’aussi simple que la reconnaissance du don de la grâce reçue lors du baptême ‑qui est la vie nouvelle‑, accepter l’identification avec le Christ à laquelle cette grâce nous conduit et de consentir à l’action de Dieu en nous qui nous unit à lui et nous configure selon l’image de son Fils par l’Esprit Saint.
Nous pouvons aller encore plus loin et découvrir que la vie contemplative n’est pas seulement la plénitude à laquelle tout chrétien est appelé, et qui a été donnée en germe lors du baptême; est aussi le plan de Dieu pour toutes les personnes. Et, par conséquent, cette vie répond au désir fondamental qui est enfermé dans le cœur humain, indépendamment de la conscience que l’on en a ou que l’on ait reçu ou non le don du baptême. C’est encore le Catéchisme de l’Eglise catholique qui nous rappelle que Dieu a créé l’homme «pour le faire participer à sa vie bienheureuse» (n. 1) et que «le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme» (n. 27). Par conséquent, le but, le bonheur et l’épanouissement de l’être humain est «vivre en communion avec Dieu» (n. 45), partageant, «par la connaissance et l’amour, la vie de Dieu» (n. 356). Le contemplatif n’est ni u n chrétien «spécial» ni une personne «rare»; il est le baptisé qui atteint la plénitude, et aussi la personne qui atteint la pleine réalisation dans la mesure où cela est possible dans ce monde.
Dans les profondeurs de l’être humain, il existe un lieu, plus intime que l’intime de soi-même, dans lequel Dieu habite2 et dans laquelle on ne peut entrer que si on est invité par Dieu lui-même et si on accepte librement la purification nécessaire pour pouvoir accueillir la lumière divine. Le contemplatif se retrouve habité par Dieu, qui a souhaité établir en lui sa demeure, avec le désir affectueux avec lequel il voulait autrefois habiter la ville sainte: «Car le Seigneur a fait choix de Sion; elle est le séjour qu’il désire: “Voilà mon repos à tout jamais, c’est le séjour que j’avais désiré”» (Ps 132,13-14). Conscient et fasciné par cette découverte, celui qui a été touché par cette grâce concentre toutes ses énergies sur descendre au plus profond de son cœur. C’est le véritable et le plus important pèlerinage de l’homme: le voyage vers le lieu le plus insondable de son être, là où Dieu habite. C’est le trésor dans lequel le contemplatif place son cœur (cf. Mt 6,21), la perle précieuse pour l’acquisition de laquelle il vend, plein de joie, tout ce qu’il possède (cf. Mt 13,46).
Á partir de la découverte de l’inhabitation divine en lui et de sa descente au centre de son cœur, le contemplatif ne peut plus vivre que pour Dieu, le découvrant en tout et en tous, qui deviennent pour lui un don de Dieu et des signes vivants de sa présence aimante. Et ainsi, vivant dans ce moment et dans ce monde, il se projette vers l’éternité et vers le ciel. Tout ce qu’il fait visé à anticiper le Royaume de Dieu et à goûter déjà ici-bas quelque chose de la vie promise pour le monde futur. Le contemplatif a écouté Dieu, a été séduit par lui et s’est laissé séduire3; de sorte que qu’il brûle du désir de voir Dieu et d’entrer dans une communion d’amour avec lui toujours plus forte et sans fin. Et pour y parvenir, il est prêt à faire tout son possible en acceptant la purification totale du cœur; car la vie nouvelle que Dieu lui offre ne peut naître qu’à travers une purification radicale, qui constitue une authentique mort à soi-même.
Le contemplatif sait que Dieu est l’Inaccessible, le Très Saint, et se considère incapable de l’atteindre sans mourir. C’est pourquoi il veut mourir, non pas à la vie, mais au vieil homme, au monde et au péché, qui l’empêchent de voir Dieu, de le vivre, et de s’éponger en lui. Il sait qu’il ne peut pas aller vers Dieu parce qu’il est insaisissable, mais il peut l’accueillir en lui-même parce que Dieu s’est livré à lui; de sorte que qu’il puisse le découvrir au fond de son propre cœur et entrer dans une relation d’amour si profonde avec lui qu’elle transforme toute sa vie.
A partir de cette purification, et à partir du moment où Dieu est son seul but, le contemplatif se sait étranger sur cette terre4 et aspire à atteindre sa véritable patrie, qui est le ciel : «C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs. Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie. S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir. En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une ville» (He 11,13-16). Le contemplatif s’habituant à vivre comme s’il était au dernier jour de son existence, se prépare de cette façon il à la mort, mourant à chaque instant pour vivre dans un avant-goût permanent du ciel5.
Une vocation qui transforme l’être
La grâce de la vocation contemplative implique et exprime une transformation profonde que Dieu opère dans la personne. Cette transformation, donnée de manière initiale et germinale dans le baptême, est développée et actualisée par la même grâce qui met en marche la vie contemplative, c’est-à-dire la grâce qui nous identifie au Christ et nous offre la même relation qu’il a avec le Père.
Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté (Ep 1,5).
Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères. Ceux qu’il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés; ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes; et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire (Rm 8,29-30).
À tous ceux qui l’ont reçu [le Verbe], il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom (Jn 1,12).
Par l’action de la grâce de l’appel à la vie contemplative, cette transformation baptismale devient actuelle, existentielle et pleine, de telle sorte qu’elle identifie notre cœur et nos sentiments à ceux du Seigneur, au point de nous donner «la pensée du Christ» (1Co 2,16) et son regard même sur le Père et sur les hommes. Cette transformation est si radicale qu’elle entraîne la mort du vieil homme pour donner naissance en nous, par l’action de la grâce, à l’homme nouveau6, qui possède «l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné» (Rm 5,5).
Ceci, qui constitue le projet de Dieu pour tout baptisé, est ce que le contemplatif doit vivre, consciemment et pleinement, jusqu’à ses ultimes conséquences. Cet être essentiel, initialement donné par Dieu, doit devenir l’être en action du contemplatif, conformant toute sa vie et ses actions. Ainsi, la vie de Dieu ne reste plus endormie en nous, mais s’allume comme un feu dévorant qui nous fait rechercher passionnément l’identification au Christ, qui d’une capacité devient une nécessité permanente et une réalité vécue joyeusement de manière habituelle dans la vie ordinaire.
Comme nous le verrons, cette transformation possède une manifestation très importante pour la mission du contemplatif, qui est l’harmonie avec la volonté, les sentiments et les désirs du Seigneur à tout moment. A partir de là, le contemplatif sait quand se taire, quand parler, et quoi faire en chaque circonstance, non pas selon des critères appris et assimilés -aussi bons et saints soient-ils- mais comme le fruit d’une participation consciente du même regard du Seigneur.
La conséquence nécessaire de cette vie nouvelle est la sainteté, qui apparaît comme un impératif incontestable et se manifeste par un changement clairement perceptible chez la personne, qui fait l’expérience de l’unification et de la simplification de toute sa vie autour du Christ, en la structurant selon la hiérarchie des valeurs propres au Christ lui-même.
La transformation opérée par la grâce entraîne une forte impulsion pour y correspondre de manière réelle, et s’exprime dans la recherche d’une unité de vie et d’une hiérarchie particulière des valeurs. Il est évident que cette vie nouvelle ne se réalise pas automatiquement, car il n’est pas spontané à notre condition de pécheurs de vivre en permanence ancrés en Dieu, en le servant toujours et en tout. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une lutte passionnée, qui est le fruit de la grâce de Dieu qui nous pousse fortement à un abandon total et absolu à lui, et qui est l’une des caractéristiques de la sainteté. Cette grâce de Dieu et l’effort humain pour y correspondre nous placent dans le domaine surnaturel comme «lieu» propre de notre vie, nous déracinant du domaine naturel, sans pour autant cesser de vivre et d’agir pleinement insérés dans le monde. Nous pourrions dire que nous devons toujours vivre avec les pieds sur terre, mais avec le cœur au ciel.
Mais pour y parvenir, nous devons tenir compte de la pression constante du monde qui nous pousse à chercher à être appréciés principalement pour les qualités et les capacités humaines que nous possédons, indépendamment de Dieu. Cette tentation conduit à la frustration de ne pas être acceptés en tant que chrétiens, et à essayer de plaire au monde en se contentant d’être utiles ou de plaire aux autres en raison de nos compétences humaines, de nos capacités ou de nos mérites. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais cela comporte le risque d’insister tellement sur les valeurs humaines que la foi apparaît comme un ajout à celles-ci, au lieu d’être la clé qui leur donne tout leur sens et leur valeur.
Au milieu du monde qui nous entoure et de nos propres passions, qui tentent de nous séparer de Dieu, la fidélité à la grâce nous oblige à vivre déchirés par ce que nous pourrions appeler la passion de Dieu, qui est la vie consumée dans le feu de l’amour de Dieu au milieu de l’hostilité du monde et de notre propre chair. Cette passion est le reflet vivant de la passion vécue par Dieu lui-même, et elle entraîne pour le contemplatif une exigence de correspondance à l’amour reçu de lui. Sans oublier qu’il ne s’agit pas d’une demande de type humain, qui constitue une charge ou une difficulté. En fait, les choses de Dieu ne peuvent jamais être un fardeau, mais plutôt un cadeau qui nous libère de fardeaux inutiles et allège notre chemin. Car, si Dieu est amour, il est une donation et non une exigence; et donc il ne nous demande rien, puisque, à proprement parler, il n’a besoin de rien de nous. S’il y a une «exigence», elle n’est pas un impératif divin, mais la conséquence naturelle de l’amour. Le don inconditionnel de Dieu, qui contient son amour pour nous, «exige» de notre part une réceptivité et une correspondance qui permettent à l’amour divin de nicher dans notre cœur et de créer une véritable communion de vie avec Dieu. C’est ce que signifie, tel qu’il apparaît dans l’Ancien Testament, que Dieu est «jaloux»7 et ne se laisse pas partager sur le même plan que d’autres valeurs, affections, etc.; ce qui apparaît déjà au début du Décalogue, situant les commandements divins dans leur contexte exact, comme expression de l’amour: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force» (Dt 6,5).
C’est pourquoi le contemplatif ne sera pas pleinement heureux s’il ne se donne pas à Dieu de manière absolue et inconditionnelle; ce qui doit nécessairement le conduire à n’avoir qu’un seul but et une seule préoccupation dans la vie: que Dieu soit son unique but et son désir absolu. C’est ce que Jésus lui-même nous encourage à faire lorsqu’il nous dit: «Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît» (Mt 6,33). C’est la vérité et la richesse que les saints découvrent et vivent, et que saint Cyprien, par exemple, exprime magistralement, en nous invitant à «ne préférer rien au Christ, qui, n’a lui-même rien préféré à nous»8; une phrase que saint Benoît reprendra plus tard dans sa Règle9. Cette invitation du Seigneur à chercher «d’abord le Royaume de Dieu» doit nous pousser à un dévouement total, qui seul peut correspondre adéquatement au don précieux que Dieu nous accorde et qui donne le maximum de fruits à notre vie. C’est précisément le chemin de la vraie et pleine liberté, qui nous rend libres devant les choses, devant les autres et devant nous-mêmes.
Si je parviens à cette liberté, je pourrai me détacher de nombreuses tâches dépourvues de sens et de toutes ces souffrances qui résultent de la division ou de la confusion des valeurs et des objectifs. En permettant à Dieu d’être le centre de mon être et de ma vie, tout en moi deviendra plus simple et plus unifié. Car, quand Dieu est mon seul intérêt, et le centre même de mon intérêt, tout me sert fondamentalement à le connaître et à le faire connaître aux autres; de sorte que ma prière, ma lecture, mon étude, mon travail, etc. sont orientés vers la fin qui polarise ma vie et s’harmonisent pleinement entre eux. Et alors, il n’y a pas de place dans ma vie pour l’anxiété ou l’inquiétude, et je peux vivre dans l’état de confiance et de paix qui me permet de communiquer à partir du cœur avec l’efficacité d’atteindre le cœur de l’autre.
Au contraire, les peurs, les tensions, les angoisses et les inquiétudes expriment le manque de véritable remise spirituel, de simplicité et d’unité de vie. Je veux aimer Dieu, mais, dans la même mesure, je veux aussi accomplir telle ou telle tâche qui me semble fondamentale. Je veux suivre Jésus-Christ, mais sans renoncer aux compensations et aux succès humains. Je veux être saint, mais je cherche aussi à profiter de certains avantages du pécheur. Je veux être du côté du Seigneur, mais en même temps je veux être du côté de telle ou telle affection ou sécurité. Il n’est donc pas étonnant que vivre en essayant d’être fidèle à la fois à Dieu et au monde devienne une tâche épuisante et impossible.
NOTES
NOTAS
- Voir Jn 4,34: «Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé»; Lc 12,49-50: «Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli!».
- Voir saint Augustin, Confessions, III, 6, 11: «Vous étiez intérieur à l’intimité, supérieur aux sommités de mon âme».
- «Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit; tu m’as saisi, et tu as réussi» (Jr 20,7).
- Voir Ex 2,22: «Je suis devenu un immigré en terre étrangère»; Ps 119,19: «Je suis un étranger sur la terre»; 1P 2,11: «Bien-aimés, puisque vous êtes comme des étrangers résidents ou de passage, je vous exhorte».
- Cela apparaît à plusieurs reprises dans l’enseignement de Saint Paul, voir 2Co 1,5: «En effet, de même que nous avons largement part aux souffrances du Christ, de même, par le Christ, nous sommes largement réconfortés»; 2Co 4,10: «Toujours nous portons, dans notre corps, la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps»; Ph 1,20-21: «C’est ce que j’attends avec impatience, et c’est ce que j’espère. Je n’aurai à rougir de rien; au contraire, je garderai toute mon assurance, maintenant comme toujours; soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps. En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage»; Ph 3,10-11: «Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts».
- Cela apparaît clairement dans saint Paul, voir Col 3,9-10: «vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance»; Ep 4,24: «Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité».
- Voir Za 8,2-3: «Ainsi parle le Seigneur de l’univers: J’éprouve pour Sion un amour jaloux, j’ai pour elle une ardeur passionnée. Ainsi parle le Seigneur: Je suis revenu vers Sion, et je fixerai ma demeure au milieu de Jérusalem. Jérusalem s’appellera: “Ville de la loyauté” et la montagne du Seigneur de l’univers: “Montagne sainte”»; Dt 4,24: «Le Seigneur ton Dieu est un feu dévorant, c’est un Dieu jaloux». Voir aussi Ex 20,5; 34,14; 2Co 11,2.
- Saint Cyprien, Traité sur la prière du Seigneur, 15, CSEL 3,278.
- «Ne rien préférer à l’amour du Christ» (Saint Benoît, La Règle des moines, 4); «… qu’ils [les moins] ne préfèrent absolument rien au Christ» (Ibid. 72).